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safaricomLorsque je suis arrivé au Kenya en 1997, la téléphonie mobile n’existait pas encore… Et Internet, n’en parlons même pas ! Il n’y avait qu’une chaîne de télévision et une dizaine de radios FM, un seul journal télévisé, du beurre d’état, du lait d’état, bref, un peu comme l’était la France de nos grands parents quoi !

Et voilà que 13 ans après, Nairobi est une des villes les plus modernes d’Afrique; et le Kenya, souvent dénommé le nouveau « Silicon Valley » de l’Afrique, est devenu un nouveau pôle technologique que certains blogueurs occidentaux s’amusent parfois à qualifier de « plus avancé qu’en Europe .

“Dans d’autres endroits du monde ce n’est pas possible : l’Afrique a pris de l’avance !”
M. von Tetzchner, co-fondateur d’Opera Software[3], parlant de M-Pesa

Comment le Kenya, petit pays africain grand comme la France, est-il devenu en à peine 8 ans le pôle de l’innovation technologique en Afrique ?

La libéralisation du marché de la téléphonie mobile

Tout commence au début des années 2000, après l’élection du nouveau président, Mwai Kibaki; une fois au pouvoir, ce dernier a libéralisé les marchés et a permis l’arrivée de deux sociétés de téléphonie mobile dans le pays – Safaricom (Vodafone) et Celtel (Vivendi). Comme les lignes fixes étaient souvent inopérationnelles, l’arrivée du téléphone portable au Kenya fut une vraie réussite !

En quelques années, Safaricom (filiale de Vodafone) est devenu le leader du marché de la téléphonie mobile, surtout grâce à sa stratégie de masse; entretemps, Celtel (Vivendi) a été racheté par le groupe koweïtien Zain en 2004, puis celui-ci a été racheté dernèrement par Bharti Airtel (propriété du billionaire Sunil Mittal); une troisième société s’est également implantée (Yu) puis Orange/France Télécom a rachèté 51% des part de la télécom local (Telkom Kenya) en 2007.

M-Pesa, laxisme des autorités et je m’en-foutisme des banques…

Notant que de plus en plus de gens possédaient un téléphone, Safaricom/Vodafone ont constaté la chose suivante:

“Tiens, tiens, les gens possèdent des téléphones portables, consomment de plus en plus et pourtant la plupart d’entre eux n’ont même pas de compte en banque; et les banques ne font rien pour changer cela.”

Ils ont donc eu l’idée d’outrepasser les banques et de profiter du manque de législation dans ce domaine ainsi que laxisme des autorités pour lancer en 2007 un tout nouveau produit, unique au monde, le M-pesa !! (pesa voulant dire argent en swahili)

L’idée de M-Pesa est de permettre aux utilisateurs de compléter des transactions financières de pair à pair limitées à 350 euros à l’aide de messagerie-texte (SMS) sans avoir de compte en banque; le concept est simple, les utilisateurs peuvent déposer ou retirer de l’argent chez les revendeurs agréés Safaricom. Un peu comme une banque mais Safaricom n’est aucunement une institution bancaire… et pourtant une fois son lancement, les banques et les autorités ont très peu réagi !

Le succès et l’expansion de M-pesa

M-Pesa est devenu super-populaire !!! M-Pesa comptait en mai 2009 plus de 6,5 millions d’utilisateurs avec une moyenne de 2 millions de transactions par jour au Kenya seul !! Sachant qu’un frais est perçu sur chaque transation, Safaricom est devenu en moins d’un an une des société les plus riches du Kenya. En 2008, M-Pesa est lancé en Tanzanie et en Afghanistan.

Devant son succès, les banques ont essayé en 2008 de faire pression en demandant au Ministère des finances d’effectuer une enquête afin de juger si M-Pesa est légal et sûr; l’étude a conclu que le service M-Pesa était sûr, mais il a été recommandé que l’on prenne les détails (nom, prénom, ID, etc.) des personnes souscrivant à M-Pesa afin de lutter contre le banditisme et le terrorisme.

Mais c’était déjà trop tard pour les banques, car les autres sociétés de téléphonie mobile avaient également lancé leur propre système de paiement par téléphone – Zain avait déjà « Zap« , Yu son « YuCash« .

Du coup, les banques sont devenues beaucoup plus souples et c’est Equity Bank – une des plus grandes banques du pays – qui a lancé en premier, en partenariat avec Safaricom, en juillet 2010, un nouveau programme M-Kesho qui permet d’avoir un compte épargne sur son téléphone; et hier, Orange a lancé cette semaine son « Orange Money« [4], toujours en partenariat avec Equity Bank, et il va encore plus loin en ôtant toute limitation sur les transactions financières. Dernièrement, les supermachés Uchumi ont mis en place un système de paiement M-Pesa à la caisse; et depui peu, en octobre 2010, la banque Citigroup/Barclays (UK), s’est également associé avec Safaricom/Vodafone pour permettre des transferts transfrontaliers jusqu’à 350 euros par transaction entre la Grande-Bretagne et le Kenya.

Les derniers chiffres de Safaricom donnent le vertige : M-Pesa compte près de 14 millions d’utilisateurs et plus de 150 millions d’euros sont échangés par jour, soit beaucoup plus que Western Union !!! Plus de 300 sociétés sont en partenariat avec M-Pesa et près de 700 000 comptes « M-Kesho » ont été créés (soit près de 1 778 000 euros en compte épargne « téléphone »).

Voilà pourquoi, au Kenya, aujourd’hui, on peut ouvrir un compte épargne, y ajouter de l’argent, payer nos factures de téléphone, d’électricité, etc. et acheter des produits au supermarché sans passer par une banque ou un distributeur !!

Haut débit et couverture nationale ? Presque une réalité


L’Afrique de l’Est était une des seules régions d’Afrique n’étant pas reliée par un câble mais cela a changé en 2009 avec l’arrivée du câble à Mombasa SEACOM; puis deux autre câbles sont arrivés (TEAMS et EASSY).[5] Les sociétés de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès ont largement investi dans les bandes passantes diminuant ainsi les prix par deux ou trois.

Et ce n’est que le début car en 2012, 14 câbles sous-marins relieront l’Afrique au reste du monde rendant l’Afrique moins dépendant des satellites et entraînant ainsi la chute des prix de la communication dans le continent. Une aubaine pour le marché de la téléphonie mobile et de l’Internet. Si vous alliez à cela le fait que l’Afrique a connu le taux de vente de téléphones portables le rapide au monde (49,3%) ces 8 dernières années et que ce taux atteindra 61% en 2018, et que la plupart des pays africains connaissent une croissance économique jamais connu auparavant, alors on peut conclure que le marché africain est un véritable eldorado pour les entrepreneurs étrangers. Le seul mal qui sévit ici, le vandalisme – par exemple, le câble reliant Mombasa à Nairobi a déjà été coupé plus de 10 fois en moins de deux ans.

Au niveau national, les sociétés de téléphonie mobile ont également largement investi pour assurer une couverture nationale. Et en octobre 2010, le Kenya était couvert à 90%. Et oui, vous pouvez vous trouver dans le trou-du-c** du Maasai Mara ou du lac Turkana et profiter du 3G !!!

L’arrivée des grands sur le marché et une société jeune, éduquée, gadgétisée et innovatrice

Les chiffres du dernier recensement[6] effectué en 2009 montrent qu’à Nairobi près de 88% possèdent un téléphone portable et 5% une ligne fixe (contre 63% et 1%, respectivement, au niveau national). Enfin, il faut noter que la population kényenne est très jeune et éduquée, ce qui est à n’en pas douter la force majeure de ce pays.

On comprend alors pourquoi Nairobi pourrait faire éclore une grappe d’innovateurs… et les grands de l’informatique l’ont bien compris. Google, Microsoft, IBM, Apple et Nokia sont dorénavant tous implantés à Nairobi et poussent les jeunes à développer des applications pour le marché africain avec un contenu ciblé pour l’Afrique.

Google Afrique s’est implantée en 2007 à Nairobi ! Depuis, il a, entre autres, traduit Gmail en kiswahili, affiné ses cartes Google Map africaines et lancé des Google Group et blogs à contenu africain, dont Baraza. Il organise aussi beaucoup d’ateliers/séminaires, comme le tout dernier gKenya[7] en septembre 2010, essentiellement pour encourager le développement d’applications sur Android.

Google va lancer, en décembre 2010, son tout nouveau IDEOS – un téléphone à petit prix (environ 90 euros) confectionné par Huawei et fonctionnant sous Android et il espère ainsi pénétrer le marché des smartphones à petit prix. Sachant que 66% des usagers au Kenya possèdent un Nokia et 18% un Samsung, Android n’est pas près de réussir, surtout si l’on sait que M-Pesa ne fonctionne pas sur Android. Gloups !

Nokia, quant à lui, mise gros sur le marché des pays en développement et il a lancé, en juin 2010 à Nairobi, quatre nouveaux téléphones spécialement adaptées pour les populations pauvres ou à revenus modérés. La particularité des téléphones de la série Nokia C1 est qu’ils accepent deux cartes SIM dans le casier et qu’ils sont équipés d’une lampe LED, d’une radio/caméra et fournis avec un kit-recharge pour vélo.

Au niveau de la recherche des cerveaux en Afrique, Nokia reste également le leader. Il a créé le Nokia Research Center[8], basé à Nairobi également, en juillet 2010, et ce en partenariat avec l’Université de Nairobi qui possède dorénavant un laboratoire/hub. Et fin novembre 2010, Nairobi accueillera un des plus grands sommets africains d’innovateurs et d’entrepreneurs (plus de 200 personnes); les tables rondes lors du Nokia’s Open Innovation Africa Summit[9] permettront d’accélérer la révolution technologique que connaît l’Afrique pour aller directement toucher les peuples les plus démunies avec de petites innovations qui changent beaucoup. Ce sommet est organisé en partenariat avec la Banque mondiale/InfoDev et Capgemini

Enfin, Nokia a lancé en août dernier, en Inde, son Nokia Money[10], en partenariat avec Obopay – leader dans le domaine des technologies de paiement par téléphone. Bien sûr, Nokia Money est une copie conforme de M-Pesa, pas besoin de banque… Nokia l’a lancé en Inde; le marché kényen étant déjà saturé. Nokia ne fait que ses premiers pas dans ce secteur, de quoi faire rire Vodafone… jusqu’au jour au Nokia Money sera intégré dans le téléphone (Symbian) et OVI largement utilisé, et là Vodafone tremblera peut-être un peu.

Le Kenya et ses trois réussites mondiales

La première, comme dit plus haut, c’est le M-Pesa…

“Si cela fonctionne en Afrique, alors cela fonctionnera partout dans le monde”
Eric (aka White African), fondateur d’Ushahidi

La deuxième s’appelle Ushahidi[11], une plateforme web cartograhpiée de gestion de crise fonctionnant par SMS. Ushahidi a été créé par une équipe de jeunes développeurs kényens et afro-américains peu après les conflits électoraux de janvier 2008 au Kenya. Cette plateforme, entièrement open source et utilisant les cartes de OpenStreetMap, a connu un immense succès et est aujourd’hui la plateforme la plus utilisée pour gérer les situations de crise; dernièrement, à Haiti, Ushahidi était la première plateforme de communication opérationnelle sur l’île et Ushahidi a permis de sauver plus d’une cinquantaine de vies.

Depuis Ushahidi est utilisé par tous: CNN, Al Jazeera, ONU, etc… et Eric a gagné beaucoup de prix. Mais Eric, blogueur connu sous le nom de WhiteAfrican, et organisateur d’évènements web africains[13], ne s’est pas arrêté là, il est retourné vivre au Kenya et a décidé d’utiliser les bénéfices générés par Ushahidi pour lancer un centre lab/hub à Nairobi, iHub[12], qui connaît un franc succès aux niveaux national et international.

Enfin, Virtual City Ltd, une petite société kényenne qui a gagné 1 million de dollars au Nokia Innovation Challenge Award[14] en septembre dernier; et la compétition était rude car il y avait plus de 50 participants. Virtual City a développé une application Nokia qui permet aux petites entreprises/commerçants d’améliorer l’efficacité de la distribution de leurs produits sur le marché grâce à leur téléphone, en suivant par exemple leurs ventes, leurs livraisons, leurs commandes, etc… L’application devrait être mise sur le marché OVI dans l’année 2011.

Et le gouvernement kényan ?

Et bien, le Gouvernement kényan essaye lui aussi de profiter du boom technologiques en lançant son propre projet, construire un immense centre technologique sur une période de cinq ans… Un projet de mammouth (ou plutôt d’éléphant) intitulé Malili[15] !! Construire une toute nouvelle ville à 60 km au sud-est de Nairobi avec un parc technologique et scientifique, une centre pour investisseurs et businessmen, un centre de conférence, un centre commercial, des hôtels, des écoles internationales et un hôpital… Le but ultime est de faire du Kenya un pôle technologique attractif et faire concurrence aux autres parcs technologiques, tels que celui en Malaisie (PutraJaya), au Panama (Pacifico), aux Philippines (Subic-Clark) et en Chine (Shenzhen). En voyant les photos, on se demande si c’est de l’info ou de l’intox ??

“La plupart du temps l’Afrique n’existe pas. Les pages financières des grands journaux occidentaux ne mentionnent pour ainsi dire jamais les marchés d’actions en pleine expansion dans le continent” .
Courrier International du 21 octobre

[3] AFP sur Google

[4] Sur Google Actualités

[5] Les câbles reliant l’Afrique en carte

[6] Résultat du recensement au Kenya

[7] gKenya, atelier Google de 3 jours

[8] Nokia Research Center @Nairobi

[9] Innovate Afrique

[10] Nokia Money (Inde)

[11] Ushahidi

[12] iHub KE

[13] Maker Faire Africa

[14] Sur Virtual City Ltd

[15] Malili Technopolis

[readon1 url=”http://www.presse-citron.net”]Source : presse-citron.net[/readon1]

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