L’actuel directeur de STV1 et STV2, télévisions privées basée au Cameroun, Mactar SILLA, est le premier hôte de la rubrique « Invité du mois » du site ITMag.sn. L’ancien patron de la Radio Télévision Sénégalaise RTS a

donné son point de vue sur l’évolution du paysage médiatique sénégalais et africain.

Itmag.sn : Comment se porte le secteur de l’audiovisuel au Cameroun où vous dirigez deux chaînes privées? Le secteur est il régi par des textes clairs ?

Mactar SILLA : C’est un secteur qui a connu des avancées remarquables ces dernières années et ceci à plusieurs égards.
D’abord par l’entrée en scène d’acteurs privés qui ont changé la donne médiatique face à l’un des organismes publics les mieux financés et outillés du continent.
Le direct a été banalisé, la diffusion satellitaire de même, les parts de marchés du privé frisent les 75% pour ne pas dire 80%, ensuite par l’amélioration des contenus et je suis fier d’avoir fait bouger les concepts et les lignes avec une équipe de jeunes que j’ai poussée et encadrée depuis 2003. Le débat citoyen et professionnel a aujourd’hui fait irruption sur toutes les chaînes, la télé du matin que j’ai démarrée en décembre 2003 avec « GOOD MORNING CAMEROON » existe sous d’autres noms sur les autres chaînes, même en dehors du Cameroun.

J’ai été assister avec le réalisateur de STV, les TVs nationales de Zambie et du Malawi via CFI à relancer et améliorer leur concept en juillet 2006. Les exemples peuvent être multipliés sur divers formats et genres télévisuels.
Aujourd’hui 6 chaînes camerounaises sont sur satellite et à l’international dont les 2 que j’ai le privilège de diriger STV1 et STV2 qui elle est sur Canalsat et le bouquet FREE en Europe.

Les textes sont clairs et existent mais ne sont pas appliqués strictement puisqu’il y a un régime dit de la tolérance administrative consistant à laisser fonctionner des chaînes qui contrairement à nous n’ont pas la licence pour laquelle il faut débourser 100 millions FCFA.

Itmag.sn : Etant privées, je présume que vos ressources proviennent en majeure partie de la publicité, du parrainage. Comment sont organisées ces deux activités au Cameroun ? Sont-elles réglementées ?

Mactar SILLA : Vous savez le marché publicitaire est ce qu’il est et non extensible en fonction du nombre d’opérateurs d’une part et les faits démontrent qu’il faut au moins 7 ans pour un retour sur investissements en matière de TV d’autre part. Si on fait vraiment de la télé, et non de la vidéothèque et bandothèque géantes à faibles qualités et coûts et sans contraintes de standards, c’est autre chose.

C’est donc dire que les projets et opérations en cours sont soutenus et financés principalement par des investisseurs qui prospèrent dans d’autres secteurs plutôt que par la publicité. La non régulation dans certains pays, l’absence de pouvoirs réels des autorités de régulation, l’absence d’éthique et de déontologie rendent les choses plus ardues.
Au Cameroun, il existe un Conseil National de la Publicité mais le problème majeur est celui de la tarification combiné à une culture de l’outdoor (affichage) poussée. Les tarifs qui sont environ le tiers de pays comparables (Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal) sont le talon d’Achille du système, dans un pays où l’audiovisuel public est financé entre 17 et 22 milliards de FCFA par an et donc qui n’a pas fondamentalement besoin de recettes publicitaires pour sa survie.

Itmag.sn : Que pensez-vous du mode de financement actuel de la plupart des chaînes de télévision publiques africaines? Rappelons qu’elles sont très dépendantes de la publicité.

Mactar SILLA : C’est très relatif. Les exemples du Cameroun avec la CRTV, du Nigéria avec NTA, du Ghana avec la GBC, de la Cote d’Ivoire (RTI), du Kenya (KBC) sans parler de la SABC (Afrique du Sud), de l’ERTT (Tunisie) et des autres pays du Maghreb etc…démontrent le contraire.

A mon avis il faut une redevance en bonne et due forme et en adéquation avec le cahier de charges de l’organisme public, prévue dans la loi de finances avec un plafonnement des revenus publicitaires (ex : pas plus d’un tiers du budget). Ce qui se passe dans certains pays est tout à fait l’inverse.

Une redevance établie sur cette base et recentrant les structures autour de leur mission de service public, au service de l’intérêt général, est une garantie pour plus de liberté d’expression et de créativité des professionnels, avec une refonte des CA (NDLR : conseils d’administrations) et une implication croissante des consuméristes et de divers démembrements et représentations de la société civile.

Itmag.sn : Vous parlez souvent au cours de vos interventions publiques de la nécessité de réglementer ce secteur. Quel est d’après vous le principal frein à la mise en place dans les pays africains de cet arsenal législatif qui permettrait d’assainir ce secteur grandissant ?

Mactar SILLA : La volonté politique et la perception du secteur comme un secteur économique à plus value sociale, culturelle, démocratique et non comme une caisse de résonnance et boîte de Pandore politicienne. J’aborde la question amplement dans le dernier ouvrage que j’ai réalisé pour Panos (NDLR : L’institut Panos) et qui s’intitule « Le pluralisme télévisuel en Afrique de l’Ouest : état des lieux et perspectives de renforcement » (Mai 2008) et dans les enseignements que je dispense aux auditeurs du Master Professionnel sur la Régulation de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, sous la direction du Pr. Abdoulaye Sakho. Je ne me contente pas de critiquer, je propose des solutions et alternatives.

Itmag.sn : Il y a quelques semaines naissait Africa 24, une chaîne d’information africaine en continu à l’image de ce que fait à l’échelle mondiale CNN, France 24, ou Al Jazzera. Que pensez-vous de cette nouvelle venue dans le paysage audiovisuel africain et surtout de sa principale source de financement : l’Etat Equato-guinéen ?

Mactar SILLA : C’est un ami de longue date qui en est l’initiateur et le patron. Je lui souhaite bon retour dans le club à ce niveau et bon vent.

Itmag.sn : Parlons un peu technologie. Mise à part quelques rares pays qui l’ont en phase test, les pays africains ne se pressent pas pour basculer vers la télévision numérique terrestre (TNT) avec tous les avantages que celle-ci comporte… pourquoi selon vous ?

Mactar SILLA: A chaque pays, à chaque période, sa vision, ses réalités, ses moyens.
Assurons d’abord ou en même temps la couverture totale et correcte de nos territoires.
Mettons l’accent et des moyens sur la production pour l’émergence d’un véritable réseau de professionnels indépendants aux structures viables, capables d’offrir les contenus à diffuser et sans lesquels les tuyaux technologiques, quelque soit leur label ou attraction, n’ont pas grand sens.
Mais restons aussi au diapason des innovations lorsqu’elles sont pertinentes et structurantes pour nos pays et marchés et qu’elles permettent de mieux satisfaire nos publics.

Itmag.sn : Et la télévision sur mobile en broadcasting, y croyez-vous ? Précisons qu’elle éprouve beaucoup de mal à se mettre en place en France par exemple.

Mactar SILLA : Pourquoi pas ? L’Afrique a surpris son monde en matière d’évolution exponentielle en téléphonie mobile. Des opérateurs africains ont conduit des innovations majeures en matière de services à valeur ajoutée et l’avenir peut réserver beaucoup de bonnes surprises.

Itmag.sn : Nous trouvons là une transition parfaite pour glisser vers les télécoms. Comment trouver vous le développement du secteur des télécoms en Afrique avec de rares géants africains comme MTN et le renforcement des grandes multinationales européennes dans certains pays ?

Mactar SILLA : Un développement prodigieux qui réconforte tout fils du continent : MTN dont l’actionnaire Camerounais (30%) est le patron de mon groupe, Spectrum, la SONATEL, ZAIN ou d’autres.
Toutefois ce constat ne saurait négliger les réalités d’un marché international ou les fusions, absorptions, rachats etc… sont partie intégrante des stratégies et options.

Itmag.sn : Nous assistons de plus en plus à une floraison d’acteurs de la presse en ligne. Le caractère temps réel et continu de ces médias ne menace t’elle pas les éditions papiers ?

Mactar SILLA: A mon avis, ce sont des activités complémentaires, l’une prolongeant l’autre et autorisant une interactivité qui est une donne essentielle de notre époque.
Pour mémoire ou rappel la diffusion des journaux en éditions papier a progressé de plus de 6% en 2008 selon le rapport de l’Association mondiale des journaux.
C’est dire que malgré la crise, la diffusion de la presse s’est accrue en Afrique et dans le monde. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1, 9 milliard de personnes lisent chaque jour un quotidien payant et les journaux atteignent 41% d’adultes de plus que Internet.

Tant que le gap numérique sera ce qu’il est, les ventes de journaux surtout à bas prix ont de beaux jours devant elles.

Itmag.sn : L’adage dit que nul n’est prophète chez soi, mais au moment où le secteur de l’audiovisuel sénégalais est entrain de connaître un boom, n’avez vous pas un souhait inavoué de lancer ou diriger un jour une chaîne privée sénégalaise, histoire de finir votre carrière chez vous ?

Mactar SILLA: Je suis vraiment très nuancé sur ce boom. C’est en soi une bonne chose la libéralisation du secteur. Il y a certes du talent, des moyens mais maldonne de départ dans un jeu aux règles géométriques variables. Pour un investisseur il y a des risques car la licence en TV c’est pour au moins dix ans et si on l’obtient comme par faveur, elle pourra être remise en cause un jour ou l’autre. De plus le marché publicitaire est étriqué pour autant d’opérateurs, sans réelle régulation. Je ne suis pas à l’aise, à titre privé dans une telle configuration du paysage où des principes et règles devraient prévaloir (appels d’offres, transparence, dispositions de saine concurrence et d’anti-concentration, impératifs de contenus, normes et standards techniques, statut des personnels etc…)
De toute façon je n’y suis pas absent puisque nos deux chaînes sont reçues et appréciées au Sénégal et au sein de sa diaspora en Afrique et en Europe.
Et enfin dans la vie il y a autre chose que de faire toujours de l’audiovisuel. Je me veux avant tout un universitaire et un consultant international qui pense servir et pouvoir continuer à servir son pays de plusieurs manières et sur d’autres fronts.

Itmag.sn : M. Silla, Itmag.sn vous remercie d’avoir bien voulu être le premier hôte de sa rubrique « invité du mois »

Propos recueillis par Mountaga CISSE et Amadou Makhtar FALL pour la rédaction d’Itmag.sn

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