Spécialiste du cyber-droit, le secrétaire général adjoint du gouvernement, Pape Assane Touré, aborde avec « le Soleil » les questions liées à la cybercriminalité à l’issue de la huitième édition du Forum international de la cybersécurité (FIC 2016). Il annonce notamment la création dans les meilleurs délais d’un centre national de lutte contre la cybercriminalité au Sénégal.

Le Forum international de la cyber-sécurité (FIC 2016) vient de fermer ses portes à Lille. Quels sont les enseignements majeurs qu’on peut tirer de cet évènement ?

Il faut dire d’emblée que le Fic est une plateforme qui regroupe tous les acteurs qui s’intéressent à la cybersécurité, par ricochet à la cybercriminalité. Il s’agit d’un phénomène complexe qui préoccupe tous les Etats du monde. Cette problématique intéresse principalement les pays développés, mais de plus en plus les pays en développement comme le Sénégal ont senti la nécessité de s’impliquer dans la croisade internationale contre la cybecriminalité. Cette question constitue une sérieuse menace pour la sécurité des informations et le développement.

Ce qui a été retenu à Lille, c’est qu’il est nécessaire pour les Etats de disposer d’un cadre juridique. Le Sénégal est bien doté à ce niveau parce que depuis 2008, on a adopté une loi sur la cybercriminalité qui date du 24 janvier 2008, une loi sur la protection des données à caractère personnel, une loi sur les droits d’auteur et les droits voisins ainsi que leurs décrets d’application. Au-delà des aspects juridiques, il y a des aspects opérationnels qu’il faut privilégier en matière de renforcement des capacités des acteurs. Il s’agit principalement des magistrats, des officiers de police judiciaire, des acteurs du monde économique, bref la sensibilisation des populations. L’autre recommandation majeure du Fic, c’est la nécessité, pour chaque Etat, de disposer d’un document de stratégie pour la lutte contre la cybercriminalité.

Notre pays est-il déjà doté d’un tel document ?

Le Sénégal n’a pas encore un document de stratégie fondé sur une vision claire et des axes stratégiques bien maîtrisés. C’est la raison pour laquelle ce forum a été l’occasion de relever ce manquement et de faire en sorte que notre pays puisse disposer de ce document de stratégie, un outil extrêmement important dans la lutte contre la cybercriminalité. Pourtant le Sénégal assume son leadership en Afrique concernant la cybersécurité parce que dès 2008, nous avons senti la nécessité de mettre en place un cadre juridique intégral qui concerne tous les secteurs.

Sur le plan judiciaire, les magistrats ont commencé à mettre en œuvre ce dispositif sur le terrain. La police nationale est dotée d’une brigade spéciale de lutte contre la cybercriminalité.

La gendarmerie est en train de mettre en place un laboratoire d’investigations pour contrecarrer ce phénomène. La commission des données à caractère personnel est fonctionnelle depuis trois ans. Son rôle, c’est de protéger la vie privée des Sénégalais dans le cyberespace.

Au-delà de ce cadre juridique, il nous manque un dispositif opératoire. De ce point de vue, il y a une bonne nouvelle car le président de la République vient de donner des instructions au Premier ministre pour l’introduction dans le circuit d’un texte portant création d’un centre national de lutte contre la cybercriminalité. Ce centre ne sera pas une structure d’investigations comme la brigade spéciale policière. Ce sera une structure de renseignement, de veille et de prospective qui sera chargée de sensibiliser les populations et de former les acteurs. Ce centre national servira aussi de plateforme de coordination des activités liées à la cybersécurité au Sénégal. En France, il existe déjà une structure pareille qui s’appelle Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (Anssi). C’est le point de contact de la France sur toutes les questions qui tournent autour de cette problématique. Le centre qui sera créé au Sénégal sera le pendant de l’Anssi. A partir de ce moment, la communauté internationale aura plus confiance en nous. Cela nous permettra d’être plus visible et de disposer d’instruments plus efficaces pour lutter contre cette menace sur la sécurité des réseaux et le développement de la société de l’information.

Avez-vous évalué l’impact de la cybercriminalité sur notre économie ?

Quand on parle de cybercriminalité, on pense d’abord à un hacker qui perce un ordinateur. Mais aujourd’hui, la cybercriminalité a des impacts économiques graves dans nos sociétés. Ce sont des milliards de francs qui sont en jeu et qui sont perdus par les Etats et les entreprises. C’est donc une forme de criminalité qui préoccupe grandement aujourd’hui et qui est un véritable fléau. Au-delà des enjeux sécuritaires, il y a des enjeux purement économiques et financiers qui se posent et qui doivent être pris en compte. Malheureusement dans les Etats africains, il manque quelquefois cette prise de conscience. Heureusement le Sénégal est en train de poser des actes majeurs. Notre pays va abriter les journées ouest-africaines de la cybersécurité « Security Days » en mi-février.

Quelle est l’importance d’un tel évènement ?

Il s’agit de la troisième édition des journées de la cybersécurité organisées à Dakar. Ce salon représente l’évènement phare en Afrique de l’Ouest. La spécificité de cette édition, c’est qu’elle sera une plateforme qui va réunir des experts venant de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ils vont tirer profit de l’expérience sénégalaise en la matière. Ce sera l’occasion de rappeler la nécessité d’une prise de conscience des enjeux de la cybersécurité. On va aussi poser les jalons d’une stratégie globale de lutte contre la cybercriminalité.

Les questions de cyber-sécurité ne sont pas un mythe, c’est une réalité ; ce n’est pas un luxe des pays développés. Toutes les typologies de cybermenaces identifiées dans les pays développées se retrouvent dans nos pays. Dès lors qu’on est connecté à la société de l’’information, on devient cyber-vulnérable. On doit prendre conscience de cela.

Mamadou Lamine Diatta
Source : Le Soleil

Laisser un commentaire