En juin 2013, Edward Joseph Snowden, informaticien américain ayant travaillé pour la Central Intelligence Agency (CIA) et la National Security Agency (NSA), révélait que les Etats-Unis et le Royaume-Uni avaient mis en place des programmes de surveillance de masse visant à recueillir des informations en tous genres circulant sur les réseaux des opérateurs de télécommunications ou stockées sur les serveurs des fournisseurs de services en ligne. La révélation de l’existence de tels programmes de surveillance électronique n’était pas une nouveauté en soi puisque, dès le milieu des années 90, des informations avaient décrit le fonctionnement du réseau Echelon, mis en place par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, consistant en un système mondial d’interception des communications, publiques et privées, transitant par les satellites et les câbles sous-marins. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush déploya, un dispositif de surveillance reposant sur des lois d’exceptions dans le contexte de « La guerre contre le terrorisme ». Ce système de surveillance généralisé avait d’ailleurs été anticipé, de manière quasi visionnaire, par George Orwell dans son célèbre roman « 1984 » publié en 1949. Les précisions données par E. J. Snowden, sur l’ampleur et la nature des informations collectées par les Etats-Unis à travers le programme PRISM ont cependant montré que la réalité avait dépassé la fiction. Ces révélations ayant ont mis en évidence que les Etats-Unis ne se contentaient pas de collecter des informations sur les activités supposées être liées au terrorisme international mais également sur des citoyens, des entreprises, des organisations et des gouvernements de pays jugés « hostiles » ou « amis » voire même sur des institutions internationales telles que l’Organisation des Nations unies (ONU), le Conseil européen de l’Union européenne (UE), de grandes réunions internationales ou encore des responsables politiques de haut niveau comme la Chancelière allemande Angela Merkel, le Président français François Hollande ou la Présidente brésilienne Dilma Rousseff. Désormais, la question de la protection des données, personnelles ou non, appartenant aux citoyens, aux associations, aux entreprises, aux institutions mais également aux Etats est devenue une question centrale voire une question de société dans de nombreux pays du monde. Bien que la presse africaine n’en ait guère parlé, l’Afrique n’a pas échappé à ces activités de surveillance électronique de masse et parmi les cibles autorisées par la NSA figuraient notamment, dans un document daté de l’année 2010, l’Union africaine (UA) et la quasi-totalité des pays africains. Au-delà de la problématique des activités d’espionnage, somme toute classiques, auxquelles se livrent les puissances étrangères en Afrique, les révélations d’E. J. Snowden devraient donc être, pour les Africains, le point de départ d’une réflexion approfondie autour de la question de la « souveraineté numérique » envisagée dans une conception globalisante, prenant en compte une grande diversité d’aspects. En effet, le développement d’Internet en Afrique s’est réalisé dans un contexte marqué d’une part par la fracture scientifique et d’autre part par les politiques de privatisation des opérateurs de téléphonie et de libéralisation des marchés des télécommunications. Le premier phénomène a fait que l’Afrique est fortement déficitaire en termes de production de connaissances, de savoirs et de technologies alors que nous vivons à l’ère de la « Société du savoir ». Le second phénomène a abouti au désengagement de l’Etat d’un secteur hautement stratégique, et fortement rentable, avec pour conséquence le transfert de l’initiative à un secteur privé très souvent d’origine étrangère et par conséquent peu concerné par la problématique de l’intérêt national. La conjugaison de ces deux processus a été à l’origine d’un affaiblissement de la souveraineté des pays africains, pris isolément, et de l’Afrique, dans sa globalité, à travers un ensemble de politiques, logiques et pratiques qui sapent la « souveraineté numérique » du continent à une époque où les technologies irradient, chaque jour un peu plus, toutes les sphères de l’activité humaine. Dès lors il est urgent que l’Afrique inscrive la problématique de la souveraineté numérique parmi ses préoccupations majeures si elle veut préserver le peu de souveraineté qui lui reste dans un monde de plus en plus interdépendant.

Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales
OSIRIS

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