Au 31 mars 2014, le taux de pénétration de la téléphonie mobile, introduite au Sénégal en 1996, a dépassé le seuil symbolique des 100%. Prise au pied de la lettre, cette information signifie que chaque Sénégalais possède au moins un téléphone portable quel que soit son âge, son sexe et sa condition sociale. Bien entendu, cette lecture des statistiques n’a pas de sens et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il faut retrancher de ces chiffres tous ceux et toutes celles qui sont trop jeunes pour posséder un téléphone portable, ce qui fait plusieurs millions de personnes puisque les moins de quinze ans représentent 42,1% de la population. Au-delà, il faut également soustraire ceux et celles qui, dans les villes comme dans les campagnes, ne disposent pas de revenus suffisants pour acquérir un téléphone portable et alimenter régulièrement une ligne « communications » dans leur budget individuel.

En effet, même si nous avons souvent la perception trompeuse que « tout le monde possède un téléphone portable », il ne faut pas oublier que notre société compte de nombreux exclus de l’accès à la téléphonie. Par ailleurs, il faut compter avec le phénomène multi-puces qui fait que nombre de Sénégalais possèdent plusieurs puces, de manière à pouvoir bénéficier des offres promotionnelles des opérateurs et économiser en privilégiant les appels à l’intérieur de leurs réseaux respectifs. Enfin, beaucoup de personnes achètent une puce uniquement pour profiter du montant de crédit qui lui est associé à un moment donné pour ensuite ne plus l’utiliser ce qui fait que le nombre de puces actives est de loin inférieur au cumul des puces vendues par les opérateurs.

Nonobstant ces considérations, il est indéniable que la téléphonie mobile est devenu un produit complètement banalisé au point que le téléphone portable est le plus répandu des terminaux, loin devant la radio, la télévision, les ordinateurs et les tablettes tactiles. Afin de bien mesurer le succès de la téléphonie mobile, il faut rappeler que le taux de pénétration de la téléphonie fixe, introduite au Sénégal en 1901, est actuellement inférieur à 2,5% et que le nombre de ses abonnés ne cesse de décliner, particuliers comme entreprises ayant tendance à résilier leurs abonnements pour les remplacer par des téléphones portables ou par des lignes fixes sans fil du type de celles proposées par Expresso.

Cela étant, ce que ces chiffres ne disent pas c’est que le téléphone portable est de moins en moins utilisé comme un simple outil de communication et de plus en plus comme une plateforme multi-services utilisée pour transférer des sommes d’argent à des tiers, acheter des produits ou des services en ligne, payer des factures d’eau, de téléphone d’électricité ou des droits d’inscription dans les universités, se connecter à Internet, échanger sur les réseaux sociaux, faire de la téléphonie sur Internet, servir de porte-monnaie électronique, etc. Dans un environnement où le taux de bancarisation est inférieure à 10%, les services financiers mobiles semblent notamment promis à un bel avenir, et Orange et Tigo ne s’y sont pas trompés qui ont lancé pour l’un Orange Money et pour l’autre Tigo Cash. Au-delà, le téléphone portable sert désormais de support à une pléiade d’applications mobiles qui vont du m-Paiement à la m-Education en passant par la m-Agriculture, la m-Gouvernance, la m-Santé, etc. qui complètent, concurrencent, voire remplacent, les e-applications apparues il y a quelques années. Le fait que les possibilités de création d’applications mobiles soient quasi illimitées contribue fortement à stimuler l’innovation à tel point que l’écosystème de l’économie numérique s’enrichit régulièrement de l’arrivée de nouveaux acteurs qui ont décidé d’investir le créneau stratégique de la production d’applications et de contenus.

Malheureusement, il ne suffit pas de faire preuve de créativité, encore faut-il disposer d’un dispositif d’accompagnement permettant de transformer une brillante idée en un succès commercial. Or, de cela le Sénégal ne dispose point et dès lors les applications qui sont primées ici et là risquent de n’avoir que des succès d’estime et le secteur des technologies de information et de la communication (TIC) être condamné à végéter au lieu de d’être le levier de croissance économique et de développement social qu’il pourrait être. Fondamentalement, cela pose la question de savoir pendant combien de temps encore le Sénégal pourra-t-il se payer le luxe de ne pas disposer d’une stratégie nationale de développement des TIC digne de nom.

Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales
OSIRIS

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