A la fin du mois de janvier, le Ministre des Postes et des Télécommunications, Yaya Abdoul Kane, a annoncé que le processus de formulation du cadre national de référence pour le développement numérique au Sénégal était désormais dans sa phase finale. Pour tous ceux qui opèrent ou s’intéressent à l’écosystème des technologies de l’information et la communication (TIC) du Sénégal, la réaction première aura sans doute été de dire : Enfin ! En effet, cela fait ni plus ni moins une décennie que l’Etat n’a pas publié une lettre de politique sectorielle du secteur des TIC et des télécommunications et près de quinze (15) ans qu’il n’a pas produit un document de stratégie nationale en la matière depuis la tentative avortée de 2000. Alors que le Sénégal avait pris une longueur d’avance sur les autres pays africains en initiant, avec l’appui du centre de recherches pour le développement international (CRDI), une démarche multi-acteurs, inclusive et participative pour l’élaboration de la Stratégie Acacia Sénégal, cette expérience n’a malheureusement pas été capitalisée ni fructifiée. Pire, on peut se demander légitimement, et nous avons souvent posé la question, comment un pays peut-il prétendre avoir des ambitions dans le domaine des TIC, voire en faire un des principaux piliers de sa croissance sans avoir une vision, une stratégie, un plan d’action, un calendrier d’exécution, un budget, des indicateurs de résultats et un mécanisme de suivi et d’évaluation. Aussi paradoxal que cela puisse être, le Sénégal a cru pouvoir faire l’économie de se doter de ces outils et il ne faut pas être surpris si aujourd’hui nombre de pays qui ne comptaient guère dans le domaine des TIC il y a de cela une quinzaine d’années sont aujourd’hui présentés comme des champions en la matière. Qui aurait pu penser que, vingt ans après le terrible génocide qui a ravagé le Rwanda, ce pays serait dans le peloton de tête des pays africains en matière de TIC ? Qui aurait pu penser que le Kenya deviendrait le hub en matière de TIC qu’il est devenu avec des success story parmi lesquelles on peut citer le système de transfert d’argent via mobile « M-PESA », le logiciel « Ushahidi », le fournisseur d’accès à Internet « Wananchi », le projet « Savannah Valley », etc. Entre le Sénégal et le Kenya, la perspective s’est totalement inversée au point que des observateurs avertis du secteur en sont venus à affirmer que le Sénégal pourrait devenir le prochain Kenya de l’Afrique de l’Ouest. Quel renversement de situation ! Mais comment en est-on arrivé là ? Autre paradoxe, les principaux problèmes qui hypothèquent le développement du secteur des TIC au Sénégal sont parfaitement connus et ce depuis longtemps. Ils ont pour noms : expression d’une volonté politique non traduite en actes concrets, instabilité institutionnelle, multiplicité des centres de décisions, absence de stratégie nationale, régulation inappropriée, problème de financement du secteur alors qu’il alimente abondamment les caisses du Trésor public, marginalisation du secteur privé national dans la réalisation des grands chantiers numériques de l’Etat, quasi absence d’incubateurs, absence de dispositif d’accompagnement des start-up, formation pas suffisamment en phase avec les besoins du marché, faible implication du secteur privé dans la recherche en TIC, insuffisance quantitative et qualitative de la fourniture d’électricité, etc. Les autorités gouvernementales ont-elles pris la juste mesure des défis auxquels le secteur doit faire face ? L’avenir nous le dira mais au regard de la place marginale qu’occupent les TIC dans le Plan Sénégal émergent (PSE) il n’y a pas de quoi être rassuré. En effet, comment penser l’émergence du Sénégal sans s’appuyer fortement sur le secteur tertiaire alors que c’est lui tire la croissance du PIB depuis des années ? Comment imaginer l’émergence sans une utilisation massive des TIC dans tous les secteurs de la société, y compris dans le domaine de l’agriculture ? Comment concevoir l’émergence sans mettre en œuvre de grands projets structurants dans le domaine des TIC ? Comme on le voit, les problèmes sont multiples et divers et seule une approche holistique permettra d’apporter les réponses pertinentes et durables qui sont indispensables à l’essor de l’écosystème TIC et au-delà à celui de l’émergence d’une société de l’information inclusive et solidaire au Sénégal. Il faut espérer que le futur cadre national de référence pour le développement numérique au Sénégal fournira les bonnes solutions aux problèmes identifiés et surtout qu’il verra enfin le jour perdant ainsi le statut d’Arlésienne qui lui colle à la peau depuis des années.

Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales
OSIRIS

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