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Didier Lombard, Président-Directeur Général de France Télécom-Orange fait le point sur le développement d’Orange en Afrique, la priorité du groupe à l’international.

L’interview a été réalisée le 3 juillet, à l’occasion des « Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence.» …

 


JEAN MARIE COAT
: Bonsoir Didier LOMBARD

Didier LOMBARD : Bonsoir

Merci beaucoup de nous accorder cet entretien, merci également au Cercle des Economistes qui nous a accueillis à l’occasion des rencontres économiques d’Aix-en-Provence. Didier LOMBARD, ORANGE compte 183 millions de clients dans le monde et est numéro 1 en France, vous avez réalisé un chiffre d’affaires de plus de 53 milliards d’euros en 2008. Quelles sont vos priorités aujourd’hui en terme de zone géographique?

Alors notre continent de prédilection c’est l’Afrique, parce qu’avoir une plaque dans laquelle on opère des télécoms dans des pays adjacents, ça facilite les choses. Ça permet de faire des offres régionales, ça permet de s’entraider entre des pays qui sont voisins, donc on est focalisés là-dessus.

C’est un potentiel énorme l’Afrique, c’est 350 millions de clients!

C’est un potentiel énorme, d’autant plus que ce qui est vu pour le moment c’est l’extraordinaire croissance du téléphone mobile en Afrique, où on apporte de la connectivité à des personnes qui ne connaissent même pas le téléphone, donc c’est un développement économique extraordinaire. Et tous les modèles sont basés sur cette espèce de vague extraordinaire qui est en train de partir. Mais il y a une deuxième vague derrière, c’est la vague Internet. Et il ne faut pas sous-estimer cette vague puisque face à l’Internet, tous les hommes sont égaux, c’est-à-dire qu’on peut faire le même business en étant au milieu de l’Afrique ou en étant dans une banlieue d’une grande ville européenne. Et donc dès qu’on aura passé cette deuxième vague, on va voir une croissance dans les métiers des technologies de l’information du continent africain qui va être absolument exceptionnelle.

Et vous vous préparez à cela!

Et on va être à la fois celui qui va apporter cette connectivité et les mouvements que nous faisons, non seulement sur les licences que nous achetons, les nouveaux opérateurs que nous faisons croître mais aussi sur les liaisons entre le vieux continent et l’Afrique, tout ça est orienté vers ça. Moi, je suis persuadé qu’un des potentiels de croissance de ce continent, c’est l’entrée dans les technologies de l’information. Et on va tout faire pour les aider.

Et aujourd’hui, votre position en Afrique est laquelle?

Notre position en Afrique est très forte puisqu’elle a été basée d’abord sur les investissements historiques que FRANCE TELECOM, issu de la direction générale des télécoms avait avec les anciens pays de la communauté (comme on disait à cette époque-là) …

L’Afrique de l’Ouest essentiellement!

L’Afrique francophone. Et ce que nous faisons en ce moment, ce que je fais en ce moment, c’est je rajoute toute une plaque en Afrique anglophone, on a commencé par le Kenya, on est dans l’Ouganda, on continue à aller dans cette direction-là, pour équilibrer la partie est et la partie ouest de l’Afrique. Ça fait deux ans qu’on est opérateur principal au Kenya avec… on lance un nouveau réseau fixe, l’Ouganda ça fait un an qu’on a démarré.

Vous avez remporté récemment un appel d’offres en Tunisie, là bien sûr on est en Afrique du Nord, c’était un contrat important?

Oui. Alors en fait, c’est notre partenaire qui a remporté… c’est DIVONA TELECOM, un acteur essentiel en Tunisie de l’Internet, qui a fait une alliance avec nous. Nous sommes minoritaires, nous sommes à 49 % et il a remporté un contrat pour une troisième licence mobile en Tunisie. Alors la Tunisie est un pays exceptionnel, il y a 11 millions d’habitants qui sont très, très développés, qui ont un niveau d’éducation très élevé et eux aussi, en mélangeant ce qui va être l’accessibilité mobile à très haut débit apportée par le 3G et le 3G+, plus l’Internet qui est en fait le savoir-faire de la société partenaire, je pense que là encore on va apporter quelque chose à la société de ce pays.

Votre grand succès au Nord de l’Afrique, c’est l’Egypte bien entendu avec 21 millions d’abonnés aujourd’hui!

Oui, l’Egypte est un pays à la croissance exceptionnelle et spécialement dans les connections mobiles. Il y a 2 ans, j’y suis allé pour fêter le 10 millionième abonné et on est à 20 et quelques, 23 millions je crois en ce moment, donc ça croît d’une façon extraordinaire. Et c’est passionnant de voir comment ce peuple se met au mobile presque plus rapidement que les civilisations occidentales.

Une très forte position en Egypte, mais un litige vous oppose depuis plusieurs mois à votre partenaire égyptien ORASCOM au sein de MOBINIL. Le différend porte sur la composition du capital?

Le différent en fait a été lancé par notre partenaire qui a lancé une procédure d’arbitrage qu’il a perdue en fait. Et en ce moment, nous sommes dans la phase où il faut appliquer cette procédure d’arbitrage, mais on va trouver avec le gouvernement égyptien les modalités pour en sortir. Ça n’empêche pas que même si nous avons un conflit avec lui, la famille SAWIRIS sont des entrepreneurs hors pair, ils ont parfaitement réussi et nous continuons à gérer ensemble cet actif en essayant de faire en sorte qu’ils ne subissent pas les conséquences de petites disputes. Mais je ne doute pas qu’on arrive à une solution.

Quel est l’enjeu pour vous, c’est de monter dans le capital de la société?

Non, non, nous souhaitons rester avec un actionnaire égyptien et la présence de cet actif sur la bourse du Caire, parce que pour avoir une bonne compréhension du climat local, il faut absolument avoir un partenaire égyptien fort. Donc, ce n’est pas du tout une procédure d’éviction, on n’a fait que répondre à des procédures qui avaient été lancées dans un moment de nervosité.

VIVENDI, votre concurrent français en Afrique via MAROC TELECOM, serait intéressé par le rachat de ZAIN en Afrique, ZAIN c’est un groupe koweitien qui a racheté CELTEL et qui est le poids lourd de la téléphonie mobile en Afrique. Vous redoutez un rapprochement, voire un rachat de ZAIN par VIVENDI pour vos parts de marché en Afrique?

Non, non. Il y a une mosaïque… en Afrique il y a 2 ou 3 gros opérateurs dont nous sommes, qui ont des actions dans plusieurs pays en Afrique et on est en train d’assister à une consolidation. C’est-à-dire que les grands réseaux vont se reconfigurer. Alors est-ce que c’est l’ensemble de ZAIN, du réseau ZAIN africain ou des morceaux? L’avenir nous le dira. Et nous par rapport à ça, ça ne change pas exactement le problème que nous avons. Nous, on est avec un domaine où nous sommes opérateurs qui s’étend… pratiquement tous les 6 mois, on achète des nouvelles licences des nouveaux pays, on va continuer comme ça.

Donc pour vous, ce n’est pas une menace à ce stade?

Non, pas du tout, pas du tout Ça structure nos partenaires ce qui, quelques fois et pour la bonne gestion de nos affaires, est plutôt mieux.

Est-ce qu’une alliance avec VIVENDI au cas par cas serait envisageable à l’avenir pour remporter des licences?

Vous savez, le groupe VIVENDI… quelques fois nous avons dans le passé fait des choses ensemble, il n’y a pas de raison qu’on n’en fasse pas dans le futur, sur des géographies particulières bien sûr.

On peut revenir sur vos positions en Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire, au Sénégal.

Nous sommes les opérateurs principaux de tous les pays que vous avez cités, avec du fixe, du mobile et de l’Internet. On est en train de commencer à mettre de l’Internet dans la région capitale, dès qu’on peut avoir du réseau fixe on en profite pour mettre de l’Internet, de l’ADSL ou on l’amène par des voies radio. On déploie dans ces territoires-là des nouveaux services, par exemple le paiement par téléphone qui est particulièrement adapté aux populations africaines qui, souvent, n’ont pas de compte en banque. ORANGE Monnaie a été développé en Côte d’Ivoire, mis en place en Côte d’Ivoire. Et on poursuit dans cette direction-là avec une entente avec les autorités locales, pour assurer une cohérence entre notre action commerciale et le développement économique de ces pays.

C’est un dispositif qui va être étendu à d’autres pays?

Progressivement évidemment, on va élargir ça puisque ça correspond à mes propos introductifs de tout à l’heure. N’oubliez pas que ma stratégie c’est opérateur intégré, opérateur intégré ça veut dire que je donne à tous l’ensemble des moyens de communication moderne …

C’est-à-dire fixe, Internet. ..

Fixe, mobile et Internet. Donc, il faut absolument qu’on fasse ça dans toutes les géographies où nous sommes. C’est très variable suivant les pays parce que le niveau d’équipement n’est pas le même au départ, mais notre philosophie reste la même partout.

Ça représente une difficulté particulière, le niveau d’équipement?

Non, après c’est une question de temps nécessaire à déployer les réseaux un peu modernes. D’autant plus qu’on s’est donné comme objectif de déployer des réseaux verts, c’est-à-dire faire en sorte que l’alimentation électrique soit le maximum par des cellules solaires, avec des équipements qui ne polluent pas. On est en train d’avoir une empreinte carbone aussi réduite que possible sur ce que nous faisons en Afrique, pour montrer aux gouvernements de ces pays qu’on peut faire du développement économique sans attaquer le problème carbone.

D’autres services seront proposés à l’avenir en terme d’innovation?

La télévision, on va bientôt y arriver parce que nous voyons bien que dans les quelques villes où nous avons commencé à mettre des canaux de télévision sur de l’ADSL local, nos clients sur place sont très friands de nos canaux de télévision. Ça leur permet d’être connectés à tous les canaux de télévision que nous avons ici. Il y a quand même certains liens culturels, donc ils aiment beaucoup recevoir ces canaux. Donc dès qu’on a commencé, après on a mis sous pression pour le mettre partout, donc c’est progressif mais c’est un des services qu’on va étendre le plus vite possible.

Il Y a également ce partenariat conclu avec RFI qui lui permet de diffuser ses informations sur mobile aujourd’hui en Afrique?

Alors effectivement, nous aimons beaucoup nos organismes de diffusion internationaux d’information, dont RFI fait partie, et nous avons passé un partenariat avec vous de façon à ce que les informations de votre chaîne soient disponibles partout, sur tous les supports. Moi j’ai suffisamment voyagé pour être friand d’informations partout où je me trouve et je pense que les populations locales aussi sont très friandes de ça. Donc, nous avons été non pas étonnés mais nous avons été confortés dans cette opinion. Quand on a lancé ça, l’audience a monté tout de suite, donc ça marche formidablement.

Donc ça marche.

D’ailleurs, je pense que probablement certains vont nous écouter aujourd’hui en utilisant ces canaux là.

Je l’espère. Des partenariats dans le monde du sport également, du football en particulier en Afrique.

Alors, on est en ce moment en discussion avec l’organisme qui s’occupe de la coupe africaine de football.

La CAN donc.

La CAN. Rien n’est signé mais, enfin, nous espérons que l’on pourra arriver à une signature de façon à ce que l’on assure pour nos clients africains le même type de service que ce que l’on assure ici en Europe avec les matchs de football du championnat de France.

Vous êtes également engagé Didier LOMBARD dans la modernisation des liaisons télécoms pour permettre à l’Afrique de ne plus être exclusivement dépendante des liaisons satellites.

Tous les pays africains dont nous parlons sont pour la plupart reliés au monde occidental par des liaisons par satellite. Alors, cela va bien pour de la téléphonie mais dès que l’on passe à de l’Internet ou les besoins en débit numérique sont très élevés, on s’aperçoit que les liaisons satellites ne suffisent plus et donc si l’on veut assurer la deuxième vague dont je vous parlais tout à l’heure, dans mon propos introductif, il faut absolument assurer des liaisons à très grand débit entre tous ces pays et le continent européen, américain, etc. Alors, nous avons deux projets, un projet sur l’Est d’un câble sous-marin en fibres optiques qui descendrait en guirlande et qui permettrait de désenclaver ces pays là. Alors, on y est intéressé parce que, comme nous sommes au Kenya en particulier, c’est par là qu’une partie substantielle de l’information va partir. Et puis de l’autre côté, il faut aussi que nous renforcions les câbles qui sont en guirlande, le long de l’Afrique de l’Ouest avec des capacités supplémentaires qui sont en fibres et nous y travaillons aussi. Mon objectif, c’est que des deux côtés, on ait une espèce de guirlande de câbles qui permette de ramener toutes ces informations à très haut débit vers le reste des réseaux Internet et à ce moment là, on pourra réaliser mon rêve en matière d’accès du continent africain à l’Internet très haut débit.

Une qualité et un coût aussi pour les communications qui seront inférieurs.

Evidemment. La qualité va monter et les coûts vont baisser. Donc alors, cela, on ne le fait pas tout seul. On a des partenaires, d’autres opérateurs qui travaillent pour nous …

C’est de gros investissements.

Des investissements très lourds. Nous aurons des navires câbliers qui font partie de France TELECOM qui seront là pour poser ces câbles et donc tout cela va se dérouler dans les deux ou trois prochaines années.

Il Y a des fonds publics également?

Non, non ….

C’est purement privé.

L’investissement, c’est nous. Quelquefois, on trouve que nous avons des marges importantes et des retours sur investissements importants mais ils sont immédiatement réinvestis dans des grands projets comme cela qui sont extrêmement structurants pour les télécoms de l’avenir.

À l’international, Didier LOMBARD, en dehors de l’Afrique, il n’y a plus vraiment de levier de croissance pour ORANGE ailleurs dans le monde. Toutes les places sont largement occupées déjà?

Non, non, le monde évolue de façon permanente et si vous prenez d’autres leviers de croissance, si vous prenez le continent asiatique, le Vietnam a annoncé à de nombreuses reprises qu’il allait ouvrir le capital d’un de ses opérateurs mobiles. C’est un pays qui représente un potentiel de croissance exceptionnel toujours sur le schéma mobile, Internet, l’ensemble de ces technologies. La population de ces pays, de ce pays en particulier, le Vietnam, l’âge moyen est de 22 ans et les garçons et les filles qu sont là, vous les mettez derrière un écran, au bout de 5 minutes, ils vont être plus forts que vous dans la façon de manipuler tous ces objets. On le sait puisque nous sommes opérateurs de la ville d’Ho Chi Minh ville et là-bas, on a mis non seulement le réseau mobile fixe mais on a mis aussi de l’Internet et on voit bien ce qui se passe. Donc il y a une procédure qui va durer encore un petit peu de temps …

C’est toujours long avec le Vietnam.

C’est un peu long mais bon on y arrivera. Il y a des appels d’offres sur le Cambodge, il y a des choses comme cela et nous pensons que ce continent, cette péninsule …

L’Asie du Sud-Est.

L’Asie dur Sud-Est, c’est un endroit où il y a un potentiel de croissance exceptionnel et les garçons et les filles qui sont là sont vraiment très étonnants.

Vous n’êtes plus tout à fait seul maintenant, vous, opérateurs occidentaux sur le marché des télécoms. On voit apparaître depuis plusieurs années des opérateurs en provenance des pays émergeants. La donne a changé dans votre univers.

On a l’habitude de la concurrence de toutes natures. On a effectivement des opérateurs qui viennent des pays du Golfe, de Chine, d’Afrique du Sud, qui sont présents en face de nous et qui ont des méthodes commerciales qui sont près des nôtres ou qu sont quelquefois plus astucieuses que nous copions mais c’est le jeu de la concurrence. Le jeu de la concurrence, cela améliore nos performances. Donc nous nous en réjouissons d’autant plus que sur certains sujets, nous sommes partenaires; par exemple, j’ai signé il y a peu de temps avec l’opérateur du Golfe ETISALAT un partenariat et c’est avec lui que l’on regarde le problème du câble sous-marin de l’est africain.

Ce sont des nouvelles coopérations qui sont en train de se nouer avec ces opérateurs.

Très riches parce qu’ils partagent, ces opérateurs là partagent ma vision sur l’avenir de ces continents. Donc c’est plus facile à la limite qu’avec des opérateurs traditionnels.

Et en Europe, il y a encore des leviers de croissance, en France en particulier?

Nous avons diversifié nos activités avec ce que nous appelons les nouvelles activités de croissance et il y a des secteurs dont on parle ici à Aix dans ce colloque économique, par exemple le vieillissement de la population qui est plutôt une bonne nouvelle. On vit de plus en plus longtemps. Mais il y a un problème de santé qu’il va falloir gérer et pour gérer convenablement les problèmes de santé, les télécoms sont un moyen puissant pour réduire les coûts. Donc nous avons des projets pour faire cela et nous pensons que dans quelques années, nous aurons une part substantielle de notre chiffre d’affaires qui sera là-dessus. Et ainsi de suite. Donc si vous voulez, nous ne sommes pas immobilisés sur nos segments qui sont les segments traditionnels de la téléphonie et d’Internet. Nous allons vers des nouveaux types de services.

En attendant, vous essayez quand même de défendre vos positions en freinant des 4 fers l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile en France?

Vous savez, la géométrie est simple. Le Danemark a eu un épisode où il y avait trop d’opérateurs mobiles. Le marché s’est effondré, il y a eu une consolidation. Tout le monde parle en ce moment des difficultés du marché britannique où il y a trop d’opérateurs mobiles et en France, on est en train de vouloir en faire naître d’autres. Donc nous ne freinons pas, nous cherchons simplement une espèce d’équité entre les conditions qui sont faites aux nouveaux entrants et les conditions que nous avons eues. C’est une règle permanente que Bruxelles surveille de près.

Et tout cela se joue évidemment sur les prix de cette licence. Merci beaucoup Didier LOMBARD de nous avoir accordé cette interview.

Merci.

Source : RFI

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