Maroc_Telecom
Maroc_TelecomPrésent dans cinq pays africains, le groupe marocain doit faire face à de nombreux défis pour maintenir sa croissance et s’étendre. Le grand patron expose ici sa politique d’innovation. Avec ses trois mâts bientôt installés à son sommet, elle dépassera les 135 m… À Rabat, la tour du futur siège de Maroc Télécom est déjà visible de très loin. Plus qu’une source de fierté pour l’opérateur chérifien né en 1998 et toujours leader dans son pays, le bâtiment s’impose comme le symbole d’un groupe qui a su s’affranchir des frontières. En s’installant en Mauritanie il y a une décennie, Maroc Télécom a ouvert la voie. Depuis, il a poursuivi son expansion au Gabon, au Burkina Faso et au Mali. Ces quatre filiales représentent désormais 20 % de ses revenus.

C’est pourtant dans un immeuble modeste, à quelques pas de la tour flambant neuve, qu’Abdeslam Ahizoune a reçu Jeune Afrique. Un oeil sur les championnats du monde d’athlétisme en salle – il préside aussi la Fédération royale marocaine -, le grand patron amazigh règne en maître. Il est certes entouré de collaborateurs sur lesquels il dit s’appuyer en permanence, mais, pour beaucoup, Maroc Télécom, c’est lui. Ancien ministre des Télécommunications, il est à l’origine de l’opérateur public, qu’il dirige toujours, même si l’actionnaire majoritaire se nomme désormais Vivendi.

Un an après l’affaire Bénin Télécoms, qui avait vu le groupe marocain en position d’adjudicataire provisoire avant que le gouvernement béninois ne fasse mystérieusement marche arrière, Abdeslam Ahizoune livre les ambitions de Maroc Télécom, dont le rôle ne se limitera plus à la seule reprise d’opérateurs nationaux en difficulté. Rachat de concurrents et nouvelles licences sont au programme… Ses banquiers d’affaires étudient en permanence les opportunités. Parmi celles-ci, le rachat du suédois Millicom, déjà présent dans sept pays africains (Sénégal, Tchad, RDC, Ghana…) avec sa marque Tigo.

Jeune Afrique : Une décennie après les premiers pas de Maroc Télécom hors du royaume, quel bilan tirez-vous de votre expérience africaine ?

Abdeslam Ahizoune : Le groupe est présent dans cinq pays sur le continent : le Maroc, le Burkina Faso, le Gabon, le Mali et la Mauritanie. Il compte 29 millions de clients mobile, contre 1 million en l’an 2000. En favorisant la pénétration de la téléphonie mobile, il a contribué de façon substantielle à la réduction de la fracture numérique. Toutes nos filiales sont à présent bénéficiaires, alors qu’elles étaient mal en point au moment de leur privatisation, voire au bord de la faillite pour certaines. L’expérience de Maroc Télécom à l’international est une véritable réussite.

Quels seront vos prochains pays d’implantation ?

Je ne peux le dire avec précision, mais nous n’excluons aucune cible sur le continent, y compris dans les pays anglophones. Nous étudions aussi les dossiers d’acquisition de nouvelles licences, même si elles sont devenues rares, ou de rachat d’opérateurs privés.

Maroc Télécom est un acteur de taille intermédiaire. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de très gros acteurs panafricains comme Orange, MTN ou Airtel ?

Maroc Télécom a démontré en quelques années sa capacité à apporter une vraie plus-value au développement du secteur des télécommunications dans les pays où il est implanté. Il s’est taillé une solide réputation de repreneur d’opérateurs historiques en difficulté, en menant des mises à niveau accélérées, grâce à d’importants investissements et à une gestion rigoureuse et transparente. Si le groupe n’a pas encore atteint la taille des acteurs que vous citez, il n’a rien à leur envier en termes de performances prouvées sur le continent ni en matière de gouvernance et de compétence.

À la différence de ces groupes, vous avez décidé de conserver les différentes marques locales et refusez jusqu’à présent la logique de la marque unique. Pourquoi ?

Nous sommes très respectueux des cultures et des valeurs locales. Chacune de nos filiales a sa spécificité. Le fait qu’elles soient bien ancrées dans leur territoire fait leur force. Comme Maroc Télécom dans le royaume, elles ont tissé au fil du temps des liens très forts avec les usagers, qui les considèrent comme leur opérateur. C’est un capital sur lequel nous veillons particulièrement. Nous avons donc conservé les noms et la charte graphique des opérateurs tels qu’ils existaient avant leur privatisation, au lieu de les uniformiser.

Vos filiales au sud du Sahara sont de véritables relais de croissance, mais restent moins rentables que vos activités marocaines. Comment l’expliquez-vous ?

En 2011, ces filiales ont contribué à environ 20 % du chiffre d’affaires du groupe, alors que cette part n’était que de 15 % en 2009. En 2011, elles ont réalisé dans leur globalité une marge Ebitda de plus de 40 %, soit l’une des meilleures performances en Afrique subsaharienne. Le différentiel de marge entre nos activités dans cette zone et celles du Maroc s’explique principalement par une pression fiscale élevée et par un manque d’infrastructures électriques qui oblige nos filiales à utiliser de coûteux groupes électrogènes. En outre, Gabon Télécom et Onatel ont dû faire face à la concurrence agressive d’un opérateur. Toutes deux ont été réactives et aujourd’hui un équilibre s’est installé, elles ont retrouvé le chemin de la croissance.

Acquisition de nouvelles licences, rachat d’opérateurs…Tout est possible.

Au Mali, en revanche, votre part de marché a bondi et Sotelma apparaît comme une véritable pépite. Quelle stratégie de conquête y avez-vous développée ?

C’est en investissant massivement pour améliorer la couverture et la qualité de ses réseaux mobile et fixe, avec de l’avance sur les objectifs qui lui avaient été fixés par les pouvoirs publics maliens au moment de sa privatisation, que Sotelma a pu reconquérir en si peu de temps le marché malien. Il y a consacré environ 50 % de son chiffre d’affaires depuis sa privatisation en juillet 2009 ! En parallèle, il a mené une politique marketing très dynamique, combinant nouvelles offres et promotions, et a misé sur une distribution de proximité en étendant considérablement son réseau.

Les marchés africains font l’objet d’une bataille croissante sur les prix. Comment réagissez-vous à cela ?

Ce qui gouverne notre politique tarifaire, c’est d’abord et avant tout les attentes de nos clients, qui souhaitent communiquer davantage et échanger plus de données, sans grever leur budget, tout en bénéficiant d’une bonne qualité de service. C’est pourquoi nous baissons très régulièrement nos prix et réalisons des promotions fréquentes et généreuses, ce qui augmente en retour le taux d’utilisation de nos services. En 2011, Maroc Télécom a réduit le prix moyen du mobile de 25 %. Nous avons aussi introduit la tarification à la seconde, à la demande de nos clients.

Le risque n’est-il pas de détériorer la qualité du service et des réseaux ?

De fortes baisses de prix peuvent en effet générer de grandes croissances du trafic, à un niveau tel que la qualité de service technique s’en trouve dégradée, avec l’apparition d’un taux anormal de congestion et de coupures de communication. Nous sommes très attentifs à ce risque. Afin d’y faire face, nous augmentons nos investissements dans le réseau pour étendre sa capacité autant que nécessaire.

La rentabilité de Maroc Télécom est-elle soutenable ou faut-il s’attendre à une baisse des marges et des bénéfices ?

En 2011, le chiffre d’affaires n’a fléchi que de 2,5 %, malgré les baisses de prix déjà mentionnées. Maroc Télécom a maintenu son leadership sur l’ensemble de ses segments de marché, mobile, fixe et internet ADSL et 3G. Pour 2012, au niveau groupe, il est effectivement prévu une réduction limitée de deux points du taux de marge d’exploitation, notamment parce que de nouvelles baisses de prix sont envisagées. Cela étant, une telle marge reste l’une des plus élevées au monde dans le secteur des télécommunications, et elle devrait se stabiliser grâce à une maîtrise des coûts et à l’accélération de la croissance dans les filiales.

À quoi ressemblera le marché des télécoms au Maroc dans quelques années ?

L’avenir des télécoms se jouera sur le contenu et la convergence des services, qu’il faudra adapter aux besoins réels des consommateurs. Ces évolutions sont au coeur de la stratégie d’innovation de Maroc Télécom. Nous sommes ainsi les premiers sur le continent et dans le monde arabe à avoir lancé en 2006 la télévision sur ADSL, dont les bouquets se sont depuis enrichis en termes de chaînes et de fonctionnalités. Nous avons ensuite proposé la MT Box, avec l’offre triple play incluant téléphone fixe, internet et la télévision, et nous devrions bientôt passer au quadruple play en y ajoutant le mobile. Maroc Télécom étoffe aussi son offre pour le mobile : musique, sport, vidéo à la demande… Le dernier service en date permet de géolocaliser les points d’intérêt situés à proximité, tels qu’hôtels ou pharmacies.

Services aux entreprises, mobile banking, internet haut débit… De toutes les nouveautés, quelles sont les plus viables commercialement ?

En tant que leader, Maroc Télécom doit innover en permanence, ce qui suppose une prise de risque. Cela étant, nous n’investissons dans de nouveaux services que si nous sommes persuadés qu’ils ont un avenir. C’est tout à fait évident quand on parle d’offres aux entreprises telles que le VPN [réseau privé virtuel, NDLR] et le cloud computing, ou du haut et très haut débit. Maroc Télécom va d’ailleurs lancer cette année des offres à 50 et 100 mégabits par seconde. Nous croyons aussi au mobile banking, qui complète les services bancaires classiques, notamment pour le transfert d’argent, le paiement de produits et de services en ligne et le microcrédit. D’autres offres ont un potentiel commercial important à plus long terme comme le téléchargement de musique, de vidéos ou de jeux.

Propos recueillis à Rabat par Frédéric Maury

Source: Jeuneafrique.com

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