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afrique_telecom_ngnLe deuxième marché mobile au monde, et celui qui connaît la plus forte croissance, repose sur quelques piliers qui lui permettent de voir encore plus loin et plus gros. Les allées d’AfricaCom, le plus grand salon des télécoms du continent, qui s’est tenu il y a quelques jours au Cap , ne différaient pas vraiment de celles d’un 3GSM de Barcelone : les stands des fabricants de mobiles ou des opérateurs y rivalisaient de design et d’esbrouffe, ceux plus modestes des équipementiers accueillaient des rendez-vous studieux. Et bien que réduit en taille et en durée (en deux jours, tout était bouclé), AfricaCom donnait le pouls d’un secteur en pleine explosion sur un continent unique.

1. L’explosion du marché

L’Afrique est désormais le deuxième marché mondial après l’Asie, avec 649 millions de clients au quatrième trimestre 2011, a annoncé le GSMA dans le premier rapport de l’Africa Mobile Observatory. Le taux moyen de pénétration y a dépassé les 50% (avec il est vrai d’énormes disparités) et surtout, c’est le continent qui enregistre le plus fort taux de croissance : au cours des cinq dernières années, le nombre d’abonnés a progressé de 20% par an et le marché devrait atteindre 735 millions à la fin 2012.

Le Nigeria, champion d’Afrique, compte à lui seul 93 millions de clients au mobile. Ce marché de masse, où le prépayé représente 96% des abonnements et où la voix et le SMS écrasent tous les autres services, devrait cependant voir l’essor au cours des prochaines années des services de data, grâce notamment à la mise en place de nouveaux réseaux (il existe déjà six réseaux HPSA + et un septième est en cours de déploiement).

Le rapport du GSMA révèle aussi que le secteur représentait environ 5,4 millions d’emplois directs et indirects en 2010 et que l’économie du mobile génère désormais 56 milliards de dollars US, soit 3,5% du PNB total (un pourcentage qui monte jusqu’à 8% pour le seul Kenya).

2. Le poids des opérateurs

Dans ce continent où l’accès à Internet reste minoritaire, les opérateurs mobiles sont des poids lourds : ils représentent à eux seuls 49 milliards de chiffre d’affaires, selon GSMA. Mais leurs marchés sont hétérogènes, partagés entre des pays à acteurs multiples (en Afrique du Sud et au Nigeria notamment) et d’autres où un acteur fort domine (Safaricom contrôle 80% du marché kényan, Ethiotel est en situation de quasi-monopole en Ethiopie, ce qui suscite l’appétit de plusieurs gros acteurs continentaux).

MTN (lire l’interview de Christian de Faria, son numéro 2) est le leader continental avec ses 158 millions d’abonnés, mais un tiers des 220 millions de clients d’Orange sont africains. Pour tous ces acteurs, la croissance africaine passe avant tout par l’amélioration de la pénétration (35% de la population des 25 pays les plus mobiles n’ont pas encore accès au service) et celle de l’ARPU. L’étude « Mega Trends in Africa » du cabinet Frost & Sullivan estime déjà que le chiffre d’affaires généré par un utilisateur africain serait aujourd’hui trois fois plus élevé qu’en Inde, au Pakistan ou au Bangla Desh.

3. Le rattrapage des infrastructures

Le potentiel du marché africain est loin d’être exploité, reconnaissent tous les acteurs du secteur, en raison notamment du faible nombre de fréquences allouées. Le développement de la 3G, du HPSA et de la LTE devrait permettre au continent de combler en partie ce retard.

Mais le principal changement au cours des trois prochaines années, qui va impacter Internet, est… invisible : pas moins de douze câbles sous-marins ont été ou sont en cours de déploiement, « levant ainsi l’obstacle majeur au développement du haut débit », selon Frost & Sullivan. 2012 devrait notamment voir la mise en opération de deux équipements majeurs, les câbles de fibres optique ACE (17000 kilomètres de long, 21 pays desservis, un investissement de 700 millions de dollars réalisé par un consortium mené par France Telecom) et WACS (un consortium mené par MTN). En jeu, une révolution de l’accès Internet et des coûts d’accès, qui permettra de gonfler la population de 50 millions d’internautes actuellement recensés en Afrique.

4. Les ambitions des fabricants

Sur un marché où la voix et le texte prédominent, Nokia reste le leader incontesté du « feature phone », le mobile de base (qui, en Afrique, se doit d’avoir une torche !), même si la menace de Samsung et d’autres fabricants asiatiques se précise. Sur le segment haut, celui des smartphones, l’Iphone d’Apple ou le Galaxy S2 de Samsung sont encore des nains, alors que Blackberry a réalisé un percée notable en Afrique du Sud.

Mais la vraie explosion à court terme pourrait concerner le segment intermédiaire, celui du « smart feature phone », un téléphone encore bon marché mais capable d’accueillir des applications javas permettant notamment de mieux profiter des services de messagerie instantanée et des réseaux sociaux, de plus en plus populaires. Dans ce domaine, les percées peuvent être spectaculaires : c’est en grande partie grâce à ses « smart feature phones » que le Chinois Alcatel One Touch a ainsi pu atteindre 5% du marché sud-africain dix-huit mois à peine après son arrivée dans ce pays.

Pour tous les fabricants, souvent confrontés à des marchés proches de la saturation sur d’autres continents, l’Afrique est de toute façon un relais de croissance sans égal… mais avec ses spécificités : en Europe, la vente des terminaux se fait essentiellement via les packs, alors que la distribution reste le principal réseau de vente des téléphones portables au client final africain. C’est pourquoi on y voit émerger des marques chinoises peu connues, telles que Techno, qui pourraient rapidement devenir des acteurs de poids.

5. Le laboratoire du paiement mobile

Le mobile est tellement partie intégrante de la vie quotidienne de la population que l’Afrique peut se révéler un laboratoire parfait pour de nouveaux services dans le domaine de la santé ou de l’éducation. « Je pense que l’Europe pourrait apprendre des solutions innovantes qui sont inventées ici », affirme Marc Rennard, le directeur Afrique-Moyen-Orient d’Orange (lire son interview), qui a remis lors d’AfricaCom des prix à des projets novateurs (plus de 600 dossiers soumis, le vainqueur ayant mis au point au Niger un service de télé-irrigation permettant de gérer à distance l’irrigation de zones agricoles).

Mais s’il est un domaine où l’Afrique peut prendre une avance majeure, c’est celui du paiement mobile. Dans un continent très faiblement bancarisé, le mobile, déjà un outil majeur pour acheter du temps de communication (« l’Air time », denrée désormais vitale), et pourrait bientôt servir à percevoir un salaire ou effectuer tout type de transaction. L’exemple le plus frappant vient du Kenya, où l’opérateur Safaricom a créé en 2007 en partenariat avec The Equity Bank son propre service, M-Pesa, déjà adopté par plus de 10 millions d’utilisateurs, l’un des secrets du succès étant qu’il n’est pas nécessaire de détenir un compte en banque pour utiliser le service. Mais difficile d’imaginer l’irruption d’une quelconque « zone M-Pesa ». La preuve, Vodafone, actionnaire majoritaire de Safaricom, a échoué dans sa tentative d’implanter le M-Pesa en Afrique du Sud : le pays est déjà trop bancarisé, explique Steven Jurgens de MoreMagic, un éditeur de solutions de paiement mobile.

Il n’empêche : les opérateurs s’activent tous sur leurs systèmes maison de « mobile money » « L’Afrique, rappelle Marc Rennard, c’est 54 pays et 54 réglementations. En parler comme un tout serait une erreur majeure». La révolution du mobile y est bien engagée, mais elle est loin d’être terminée.

FRANÇOIS BOURBOULON, AU CAP

Source: Lesechos.fr

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