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afrique_telecom_ngnAujourd’hui le retard de l’Afrique dans le domaine des TIC sur le reste du monde réside dans l’accès haut débit. Le haut débit mobile (via la 3G notamment) va en cela changer la donne. Nous verrons tout d’abord l’apport du broadband mobile aux pays africains , ensuite les inhibiteurs qu’il ne faut pas néglier et ensuite les impacts à anticiper au niveau de l’éco-système.

Les déploiements des réseaux 3G, 3,5G, 4G quelle que soit la famille technologique retenue (UMTS, LTE, etc.) constitue l’enjeu technologique majeur de la décennie en Afrique. Tout le monde se félicite de la progression du téléphone mobile depuis un peu plus de 10 ans. En 2011 le cap des 50 % de pénétration a été franchi en Afrique subsaharienne, celui des 100 % en Afrique du Nord pour s’établir à 68 % sur le continent (45% en réalité, corrigé de l’effet multisim). Ces chiffres 2011 ne sont pas anodins car ils signifient que la pénétration des télcoms en Afrique est au niveau de l’accès à l’eau courante (64%) et largement supérieur à l’accès à l’électricité (40%) ou à un compte en banque (21%). Le rôle joué par les réseaux sociaux lors du « printemps arabe » notamment en Tunisie et en Egypte conforte aussi cette idée.

Cependant, seuls 11 % des africains (ensemble du continent) ont accès à l’Internet. Ce résultat est certes dû à la faible pénétration du fixe (1,5% sur le continent) et la quasi inexistance d’un réseau fixe haut débit. Le broadband mobile représente une chance pour les africains en tant qu’individus, pour les opérateurs et pour les Etats (et donc, en boucle retour, les concitoyens). Dans le cadre de l’utilisateur grand public, nous pouvons parier sur un « saut quantique » comme celui déjà vécu sur entre la voix fixe et la voix mobile. L’Afrique a sauté le cap de la téléphonie fixe (contrairement aux pays de l’OCDE) pour directement passer à la téléphonie mobile. Dans l’accès à Internet voire l’accès à des contenus de type télévisuels, le même phénomène va se produire dans la décennie qui commence. Le broadband fixe devrait rester limité aux entreprises et gouvernement, le grand public découvrant l’accès à Internet (internet mobile) et aux contenus (mobile content) via la téléphonie mobile. Ainsi la phase connue entre 2002 et 2009 en France où le « haut débit » était poussé par les accès fixe (ADSL et cable principalement) devrait être purement et simplement sautée en Afrique pour un passage directement au Haut débit mobile. C’est bien là tout l’enjeu de la 3G (et à terme de la 4G) : faire entrer l’Afrique dans l’ère d’Internet. Nous pouvons même anticipé que les opérateurs pan-africains (Orange, MTN, Milicom, Maroc Télécom, etc.) sauront faire preuve d’ingéniosité et aider au développement d’usages innovants comme cela s’est déjà produit pour la téléponie vocale (usage poussé des SMS, USSD, m-paiement).

Pour les opérateurs télécoms l’intérêt est double. Ces nouveaux réseaux vont permettre une décongestion des réseaux voix notamment dans les régions de forte densité de population. Ils vont donc permettre une amélioration de la qualité de service générale. Ils représentent aussi un moyen de faire repartir à la hausse les revenus. En effet, les revenus actuels par utilisateurs (ARPU) sont en baisse en Afrique de manière tendancielle depuis 4 ans et le phénomène pourrait s’accélerer en restant uniquement sur la voix et le sms ou quelques SVA vocaux. En Afrique subsharienne cet ARPU était de 6,5 € et de 10 € en Afrique du Nord en 2010. Depuis 2008, dans les pays les plus matures, la croissance du chiffre d’affaires des opérateurs sur le marché mobile grand public est dû à la croissance de la pénétration de l’usage (et pour les meilleurs la croissance de leur part de marché relative) tandis que la croissance en valeur est négative. L’arrivée du broadband mobile va permettre de proposer de nouveaux services (du basique accès internet haut débit mobile jusqu’à des services à valeur ajoutée voire des contenus).
Pour les Etats, le déploiement des réseaux 3G/4G est une triple bonne nouvelle. D’une part, cela permet de lancer un nouveau tour de licence à mettre sur le marché d’ici 2016 ce qui donnera aux Etats un pouvoir de négociation par rapport aux opérateurs (pas toujours à l’avantage de ces derniers). D’autre part, et en cela que les Etats devront aussi ménager les opérateurs, c’est une phase d’investissement en infrastructure toujours bienvenue pour l’économie et les emplois des pays. Dernier avantage, et en fait le plus structurant, ces réseaux, une fois déployés, vont permettre aux Etats, de communiquer sur l’attractivité de leur territoire, leur désenclavement numérique. Ce sera un formidable levier pour les Etats afin de faire venir des investisseurs étrangers, développer des zones économiques (jusqu’à des logiques de smart cities), créer des emplois et à terme … lever des impôts additionnels autour de cette croissance. Dans ce dernier, le broadband mobile sera complémentaire du broadband fixe mais contribuera surtout au développement économique des pays.

Le broadband mobile est donc un enjeu majeur pour les télécoms en Afrique. Cependant, il en faut pas négliger les inhibiteurs associés à cette transformation. Sans refaire les analyses classiques des freins réglementaires, technologiques, etc. mettons plutôt en avant les dimensions qui aujourd’hui, pays par pays, peuvent freiner ce développement. Aujourd’hui, les inhibiteurs ne sont en effet plus d’ordre technologique. L’Europe a fait son déploiement 3G, la 4G est à l’ordre du jour. Les éléments de réseaux, les plate-formes de services sont à maturité et les équipementiers (notamment chinois) proposent de bonnes équations tarifaires. La logique de mutualisation se développe aussi entre opérateur et permet de régler la question – sensible – du coût de déploiement réseau. Cela ne veut pas dire que les questions économiques ne se posent pas pour les opérateurs télécoms (rentabilité de la 3G) mais que les inhibiteurs sont aujourd’hui ailleurs. Ces inhibiteurs sont de trois ordres principaux.
La première nature est l’évaluation de la réelle appétence du marché. Il faut se méfier du miroir aux alouettes. Certes, dans un secteur de l’offre comme les télécoms, il est facile de pronostiquer une hausse de la demande liée à des nouveaux services. Les usages en mobilité (notamment réseau sociaux, TV et vidéo, géolocalisation) sont particulièrement demandés. Cependant appétence présumée n’est pas maturité du marché vu du côté des consommateurs. Le marché peut être encore indécis sur les usages haut débit mobile qui seront vraiment importants pour ne pas dire essentiels dans sa vie. Les opérateurs doivent donc intégrer d’une part un temps de latence entre la mise à disposition des services sur le broadband mobile voire, d’autre part, anticiper un effort de vulgarisation, formation des clients sur ces usages.
Le second inhibiteur concerne la question du piratage. Cette question va prendre une forme nouvelle pour les opérateurs télécoms notamment avec l’apparition de l’accès à des contenus valorisables. Le piratage notamment des offres de TV payantes et de vidéos est un mode de consommation en soi dans certains pays d’Afrique. Les opérateurs doivent mettre en place des systèmes pour éviter de connaitre les mêmes déboires que des chaînes payantes.
Le troisième inhibiteur concerne les terminaux. En effet avoir accès à du haut débit mobile n’a de sens que si on peut utiliser un smartphone dont l’écran, le design et l’ergonomie s’inscrivent dans la durée dans le développement des terminaux. Le problème est que ces terminaux restent chers surtout dans des pays ou le pré-payé domine ce qui rend plus difficile leur diffusion auprès de la population pusiqu’ils doivent être payé au prix fort.

Une fois ces inhibiteurs levés, les réseaux déployés, les opérateurs doivent aussi intégrer les impacts du broadband mobile sur l’éco-système. Les relations avec les acteurs de la chaine de valeur vont être bouleversées. Deux cas particuliers sont à prendre en compte. D’une part les relations avec les équipementiers de terminaux (les fameux smartphones notamment) et, d’autre part, l’éco-système autour de la diffusion de contenu via les modèles haut-debits mobiles.
La question des terminaux mobiles adaptés pour la 3G va être particulièrement fort en Afrique. En effet, l’explosion de l’usage broadband mobile sous-tend des terminaux permettant de surfer sur Internet, accéder à des services et contenus adéquats. Ce sont les PC mobile (avec clé 3G), les tablettes PC ou les smartphones. Le succès en Europe du broadband mobile à compter de 2007 a été en particulier soutenu par la vente des smartphones à succès (dont l’Iphone en premier lieu) largement subventionné dans la plus part des pays. Le souci est que le mode de subventionnement des terminaux est associés à des contrats de type post-payé (l’engagement d’abonnement associé à la subvention du terminal). Ce modèle ne peut être exploité à plein régime dans les pays africains du fait de la part importante du pré-payé (95 à 99 % du marché). Question d’autant plus importante que les smartphones « nus » sont encore chers. Le prix de certains composants restent élevés (les écrans, tactiles notamment) même si d’autres (OS, processeur) bénéficient d’un effet de baisse depuis quelques mois. La batterie est aussi un enjeu dans des pays où l’accès à l’électricité est cher et parfois complexe. Les smartphones avec cellules photovoltaique sur la coque sont sortis en 2010 et constituent une bonne solution pour les pays africains si ce n’est, encore une fois, leur prix. Le prix du terminal pour le client est donc un enjeu (à la fois frein via l’axe prix et accélérateur en termes d’usage) et, au-delà, la répartition de la valeur entre équipementiers et opérateurs (la subvention du terminal étant clairement un transfert de valeur entre l’opérateur et l’équipementier).
L’autre eco-système qui va être bouleversé voire à construire est celui des contenus sur la 3G. les offres 2G ou 2,5 proposent déjà l’accès à des contenus (sonnerie, logos, fils d’information, alertes, votes, service MMS, jeux de type Java). La 3G va sensiblement élargir le champ des possibles : musique « on demand », TV Mobile, Recherche Internet et navigation, publicité. Ces différents services, s’ils constituent une des dimensions attractives de l’internet mobile haut débit, nécessitent aussi de partager la valeur entre de nouveaux acteurs qui ne sont pas seulement les opérateurs et les équipementiers. Une partie de la valeur ira vers les créateurs de ses contenus (jusqu’à 90 % selon les natures de contenus et l’auteur) et une autre vers les nouveaux niveaux d’intermédiation qui vont se créer. Le principe n’est pas nouveau pour l’internet mobile puisqu’il est par exemple le modèle qui prévaut depuis des années dans la publicité avec les agences de publicité et les plateformes de gestion des publicités qui captent entre 35 et 50 % de la valeur. Dans le domaine des contenus, en dehors des créateurs (jeux, videos, applications) au niveau de rémunération de 0 à très cher, les niveaux d’intermédiation peuvent être nombreux (agrégation des contenus, packaging, hosting, billing).
Pour faire vivre ces différents acteurs, non seulement se constitue une nouvelle chaine de valeur mais aussi de nouveaux business models autour de l’acquisition de contenu : l’abonnement, le paiement à l’acte, la location, le bundle. Les opérateurs africains auront un travail plus conséquent à faire du fait des spécificités du continent : là encore le modèle économique avec le pré-payé, la production de contenu locale (linguistique, culturelle) qui représente un coût mais aussi une chance pour le continent.

L’histoire du broadband mobile est donc en train de s’écrire. Succès avéré en Europe, il est une nouvelle chance pour l’Afrique de sortir définitivement de l’enclavement numérique. Il reste encore aux acteurs à trouver les bons modèles pour favoriser une diffusion rapide et large.

Jean-Michel Huet, Directeur Associé
BearingPoint

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