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telephone_mobile_afriqueLa nuit tombe sur Bamako, et comme chaque soir, la capitale malienne se retrouve engorgée dans les embouteillages. Sur la nationale 6, la file de voitures s’étire en un long ruban lumineux, ininterrompu et immobile. C’est au milieu de ce tohu-bohu que travaillent les revendeurs de cartes téléphoniques prépayées. On les reconnaît à leur gilet publicitaire fluorescent et aux chapelets de cartes qu’ils brandissent à bout de bras. Le travail est épuisant, la concurrence acharnée, l’agressivité commerciale indispensable : au moindre signe de tête ou de main d’un automobiliste, les voilà qui accourent. Pour une carte de 1 000 francs CFA (1,52 euro) vendue, ils toucheront 65 francs CFA (0,10 euro).

A l’autre bout de la ville, au rond-point d’Hamdallaye, Moussa Diarra, un “ancien du goudron”, a tout vendu : ceinturons, chaussettes et postes de radio. En 2003, il s’est lancé dans le commerce des cartes téléphoniques, “plus rentable”. Son minuscule stand – un tabouret en osier et une pancarte – est installé à l’ombre d’une usine de papier, en retrait d’un boulevard fréquenté. “Au début, j’étais presque le seul ici, raconte-t-il. Maintenant, regarde, juste dans ce coin, nous sommes plus d’une vingtaine !” Il y a là des écoliers qui viennent pendant les vacances pour pouvoir se payer leurs fournitures scolaires ou des cultivateurs de brousse qui montent en ville durant la période de soudure entre deux récoltes. Au panthéon des métiers de rue de Bamako, le revendeur de cartes a détrôné le marchand de cigarettes.

Depuis 2002, le marché africain de la téléphonie mobile enregistre la croissance la plus rapide au monde, plus 50 % par an, selon une étude du cabinet Ernst & Young de juin 2009. Longtemps, le Mali a été en retard par rapport à ses voisins, faute de concurrence. Les freins économiques et culturels semblaient également nombreux. Comment recharger une batterie sans électricité au milieu de la brousse ? Comment envoyer un SMS quand la moitié de la population est analphabète ? Comment acheter du crédit (0,17 euro la minute) quand le revenu journalier atteint à peine 1 euro ? Pourtant, le pays comptait fin 2008 près de 3,5 millions d’utilisateurs, plus du quart de la population, selon l’Union internationale des télécommunications. Aujourd’hui, de la marchande de bananes au fils à papa, c’est toute la société africaine qui vibre au rythme du mobile.

Avec “seulement” 350 millions de possesseurs d’un portable sur le milliard d’habitants que compte le continent, l’Afrique attise la convoitise des opérateurs privés, confrontés à la stagnation de leurs marchés européens. Récemment, Orange a réalisé un joli coup marketing en accolant son nom à celui de la Coupe d’Afrique des Nations jusqu’en 2018, damant le pion au sud-africain MTN. L’opérateur français dit vouloir “profiter de l’engouement populaire du football pour se positionner comme une marque panafricaine” et combler son retard face à ses concurrents. Au Mali en revanche, où Orange est leader, voilà déjà plus de trois ans que la capitale tout entière s’est grimée à ses couleurs : sur les pancartes accrochées aux minuscules échoppes, les gigantesques fresques murales ou les tee-shirts des footballeurs de rue.

Sans passer par la case de la téléphonie fixe, l’Afrique a basculé de plain-pied dans la révolution mobile. Il semble loin le temps où les premiers téléphones “au revoir la France” arrivaient au compte-gouttes via la diaspora. Une visite chez Wassolo, à Bamako, permet de s’en rendre compte. Cette minuscule caverne d’Ali Baba numérique où s’entassent des carcasses de mobiles est une adresse prisée pour la réparation et la “tropicalisation” (le décodage) des portables venus d’Europe, de Chine ou de Dubaï.

Armé d’une brosse à dents ou d’un fer à souder, à la lumière d’une lampe bricolée avec une boîte de chips, un artisan redonne vie à un Nokia défectueux ou aux appareils chinois à la longévité inversement proportionnelle au prix. Coût de l’opération : “5 000 francs CFA (7,5 euros) pour un modèle de base, le triple pour le haut de gamme”, précise Vieux, le patron. Les affaires sont florissantes, les clients nombreux. Devant la boutique, un jeune homme montre fièrement à une jeune femme les fonctions de son tout nouvel iPhone.

“Les Occidentaux ont l’impression que les Africains sont fous du portable, parce que c’est un joujou un peu magique, ironise Coumba Sangaré, directrice de la communication d’Orange Mali. Mais les gens en avaient un réel besoin dans leur vie quotidienne.” Du loueur de chaises à la surréaliste ambulance-corbillard, toutes les boutiques de Bamako affichent sur leur fronton un numéro de portable.

Prendre un rendez-vous, notion autrefois incongrue, est devenue chose courante. C’est tout un rapport au temps et à la géographie africaine qui a été bouleversé. Là où le contact ne pouvait s’établir qu’en chair et en os, au prix de plusieurs heures de transport, il suffit désormais d’un coup de fil. “Auparavant, mon menuisier ne pouvait servir que deux clients dans la journée, raconte Mme Sangaré. La première fois, lorsqu’on le croisait chez lui le matin, et le soir à son retour. Désormais, il peut organiser ses rendez-vous avec quatre ou cinq clients.” Ses affaires marchent : il vient d’ouvrir un nouvel atelier de l’autre côté du fleuve Niger. De même, les vendeuses de poisson livrent à domicile sans devoir emporter leur glacière au marché, et les “Allô Tiep”, version bamakoise des “Allô Pizza” français, se taillent un joli succès.

En milieu rural, le téléphone a également modifié la perception de l’espace. Les Peuls nomades, dont les transhumances génèrent des conflits avec les sédentaires, peuvent mieux guider leurs troupeaux et retrouvent plus facilement leurs bêtes perdues. Informés en continu, par SMS, du cours des céréales et des légumes, les commerçantes et les petits producteurs de province peuvent vendre leurs marchandises au meilleur prix sur les marchés.

Jean Abbiateci et Antonin Sabot

[readon1 url=”http://www.lemonde.fr”]Source : lemonde.fr[/readon1]

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