Vous venez de commettre un ouvrage intitulé “Régulation du marché des télécommunications en Afrique, l’exemple du Cameroun”. Un résumé de l’ouvrage pour nos lecteurs
L’ouvrage s’articule en trois volets. Le premier volet révèle, d’une part la connivence des pays occidentaux aux dépens de l’Afrique au nom de la libéralisation, et d’autre part l’Afrique qui n’a pas pensé sa stratégie sur le plan des télécommunications ni des autres secteurs d’activités. Cette régulation ou plutôt cette déréglementation du marché des télécommunications en Afrique se traduit par une ouverture forcée à la concurrence. Les politiques d’ajustement structurel, sous la pression du FMI et de la BM, ont fait de la privatisation des télécoms une des premières conditionnalités. Le marché national est donc fragmenté. Les opérateurs des pays industrialisés (France Télécom, Telefonica, Portugal Telecom,…), en quête de nouveaux marchés à fort potentiel de croissance, se ruent sur les Pays en développement (PeD). L’UIT s’est transformé en bras armé des privatisations au mépris de son rôle historique qui est le développement technique des télécommunications. On notera d’ailleurs que l’ex-secrétaire général Peka Tarjanne et son ex-adjoint Henry Chasia ont tous deux trouvé un nouvel emploi quelques semaines seulement après la cessation de leurs fonctions à l’UIT: le premier comme n°2 de Global Crossing, et le second comme vice chairman à ICO. Il faut dire qu’avant les privatisations, l’UIT ne s’est jamais préoccupée de la mise en valeur des réseaux africains, ce qui est à l’origine d’un bradage. Pourtant les pays africains sont membres de l’UIT et peuvent en infléchir l’orientation ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 30 ans après le rapport Maitland qui déplorant l’état des télécommunications en Afrique et qui qualifiait l’Afrique de « chaînon manquant », on constate que rien n’a été fait pour le développement des télécommunications en Afrique. Le second volet de mon ouvrage présente l’exemple du Cameroun, qui reflète l’Afrique dans tous ses vices. Le troisième volet, propose des solutions de sortie de toutes les tristesses et désolations que l’Afrique connait en matière de NTIC. Encore faudrait t-il que nos gouvernants en tiennent compte.
Sans entrer dans les détails, comment peut on définir et caractériser l’état des télécommunications au Cameroun?
Il est difficile de faire court sans dénaturer la réalité. En une phrase, l’état des télécommunications au Cameroun accuse un retard déplorable dû aux équipements datant de l’époque coloniale. Tous les africains, tous les camerounais, ont eu à faire au téléphone. Bien que la gamme des services des nouvelles technologies de l’information et de la communication soit plus étendue, nous n’allons analyser que ceux qui sont les plus utilisés au Cameroun. Ainsi nous distinguerons le téléphone fixe et le mobile. Pour obtenir une ligne de téléphone fixe, il faut attendre de 3 mois à 5 ans, voire 10 ans pour ceux qui n’ont pas les moyens de corrompre ou qui n’ont aucun pouvoir. Quand par hasard la ligne fonctionne, la qualité est parfois mauvaise, ne parlons pas des interruptions intempestives avec obligation de continuer à payer l’abonnement au risque de voir son numéro attribué à quelqu’un d’autre. Le téléphone mobile quant à lui est l’un des plus chers au monde malgré les faibles revenus des camerounais (la minute 10 fois plus chère qu’à l’Île Maurice). On a en plus une tarification fantaisiste au détriment des consommateurs. Le mobile dépend d’un réseau « sans secours » et est géré par des opérateurs qui ne suivent pas les cahiers de charges… Sans oublier le détournement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dû aux fausses déclarations du chiffre d’affaires par les opérateurs de mobiles avec une perte comprise entre 30 et 60 milliards de Fcfa.
Et l’accès à Internet
C’est un scandale car il y’a pas de haut débit. A quand la télémédecine généralisée? A quand le télé enseignement? Voilà les NTIC au rabais pour les Africains et les Camerounais.
D’après vous qu’est ce qui freine l’arrivée d’un troisième opérateur de téléphonie mobile au Cameroun alors qu’il a longtemps été annoncée pour mettre fin à cette situation de duopole qui règne?
Vous remarquerez que plusieurs pays africains, 10 fois moins peuplés que le Cameroun, ont 4 à 6 opérateurs de téléphonie mobile pour aider à la concurrence. Je ne peux vous livrer les secrets de cette boîte noire que je ne connais pas. Un troisième opérateur sera peut être bientôt désigné; si par malheur, il fallait encore choisir une multinationale étrangère, elle va s’allier aux deux premières pour continuer à pratiquer la politique des prix élevés avec les conséquences que nous connaissons.
Le régulateur dans le domaine à savoir, l’ART, a souvent sanctionné ces deux opérateurs et souvent annoncé des baisses des coûts des tarifs. Mais jusqu’ici il n’y a pas eu de suite. S’agit-il d’une incapacité ou alors d’un cautionnement de la part de cet organe?
Je pense que l’ART n’a pas les moyens de sa politique ; si jamais elle avait ces moyens comment comprendre que le téléphone au Cameroun soit parmi les plus chers du monde ? Comment comprendre que l’ART ne fasse rien pour les consommateurs qui sont victimes de fausses tarifications de la part des opérateurs? J’affirme qu’au Cameroun il n’ya pas de concurrence à cause d’une connivence doublée d’une incapacité à maîtriser les enjeux des NTIC. Le duopole Orange et MTN s’entend pour bloquer les prix au Cameroun. A l’Ile Maurice par exemple, Orange fait payer 10 fois moins, le coût de la minute.
Votre analyse va au delà du Cameroun. Et pour vous, l’UIT a une part de responsabilité dans la situation actuelle?
L’UIT s’est transformé en bras armé des privatisations au mépris de son rôle, historique qui est le développement technique des télécommunications.
Pensez vous qu’il y ait vraiment de la concurrence dans le secteur des télécommunications au Cameroun?
Les conditions de concurrence ne sont pas réunies. Il n’y a pas de concurrence au Cameroun sur le plan de la téléphonie. Elle pourrait exister, malheureusement l’ART ne joue pas son rôle et ceci au détriment des camerounais.
Ne faut-il pas repenser toute la stratégie de la régulation des télécommunications au Cameroun, au regard des technologies sans cesse innovantes qui font de ce secteur, un monde en perpétuel mouvement? Quelles sont vos solutions immédiates ?
Il faudra renégocier les concessions sur le mobile de 25 à 30 ans maximum. Ne pas attribuer la troisième licence mobile à une société à capitaux majoritairement étrangers. obliger le financement d’infrastructures de base par tous opérateurs exerçant au Cameroun pour le développement du téléphone fixe; obliger les opérateurs actuels à faire une déclaration de leur vrai chiffre d’affaires et enfin obliger le financement de l’accès universel par tous opérateurs exerçant au Cameroun.
Dans la situation actuelle au Cameroun, quelles solutions préconisez-vous pour développer les télécommunications?
C’est un point important qu’on ne peut pas paraphraser. Et le sérieux du sujet exige une grande rigueur dans la démarche. Réfléchissons un moment sur ce qu’est le meilleur environnement pour une entreprise qui veut s’installer dans un pays. Imaginons un pays sans réseau routier, sans réseau d’énergie, sans réseau de télécommunications (pas de téléphone, pas fax, pas d’internet…) Je rappelle que : un point de télé densité (nombre de personne sur 100 ayant un téléphone fixe) apporte trois points de croissance sur le plan économique. Ce que vous devez savoir, c’est que le président de la République est trahi par la plupart de ses collaborateurs. La première solution serait de mettre fin au favoritisme, à la promotion des tarés, car beaucoup de compétences sont bafouées ; Le Cameroun élimine ou rejette facilement ses bras valides ; Les cerveaux sont peu promus et peu écoutés. En réalité, il y a une mentalité et une méchanceté camerounaise qui ne permettra pas le décollage de notre pays. Beaucoup de compétents et de bras valides pouvant faire la différence sont au chômage au profit de fainéants promus par leurs proches à des postes très importants et sensibles. Au risque de me répéter, c’est un problème de volonté politique et de vision stratégique. Mon ouvrage sera pour eux un très grand outil de réflexion.
Pour terminer, un mot sur l’auteur
Il est Docteur en économie et gestion des organisations, expert et spécialiste des télécommunications. Ingénieur Réseaux Informatiques et Télécommunications, auditeur Qualité certifié, diplômé en Science Politique. Après avoir été enseignant à l’Université de Paris I (Panthéon – Sorbonne), il a été directeur de publication du magazine « Les Nouvelles de la Francophonie » et occupé plusieurs postes de directeur de département dans les télécommunications. Il est actuellement, Consultant – Formateur – Auteur – Conférencier. Cet ouvrage est le résultat d’une combinaison de la rencontre avec un homme, Jean Louis Fullsack, et son désir d’assumer de manière désintéressé son patriotisme.
Source: journalducameroun.com