cotedivoire_taxe
cotedivoire_taxeLorsque le câble sous-marin de fibre optique SAT3 a été endommagé le 24 juillet dernier à hauteur de Cotonou au Bénin, des routes alternatives pour faire transiter le trafic international voix & données en provenance et à destination du Bénin, du Nigéria et du Togo ont été rapidement mises en place. Le Bénin et le Togo ont sollicité Cote d’Ivoire Telecom, laquelle a pu leur fournir dans les 24 heures de la connectivité. Cet incident a démontré le rôle vital de routes terrestres alternatives de transmission mais aussi la place privilégiée que la Côte d’Ivoire peut occuper en tant que « hub » de transit pour le trafic des pays de la sous-région. Cette dernière option vient juste d’être remise en cause par l’instauration d’une taxe sur le trafic téléphonique international entrant en Côte d’Ivoire. Isabelle Gross s’interroge sur les impacts de la décision du gouvernement ivoirien aux regards de sa volonté politique de faire de la Côte d’Ivoire un centre d’excellence des TICs dans la région.

Le 10 août dernier, les opérateurs télécoms ivoiriens ont été informés par le Ministère des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication que la taxe sur l’interconnexion internationale est entrée en vigueur à partir du 1 juillet 2009. Il est à noter que la date initiale d’entrée en vigueur était fixée au 4 mai 2009, date de parution du Journal Officiel du 16 avril 2009 promulguant cette nouvelle taxe, mais des demandes de clarification à l’initiative de l’UNETEL, l’organisation patronale des opérateurs ivoiriens, ont en quelque sorte suspendu son application. Cette taxe s’applique à toutes les communications téléphoniques internationales en provenance de l’étranger : elle inclut les appels internationaux entrants directs et en transit ainsi que les appels émis en roaming international vers la Côte d’Ivoire.

Dans le Journal Officiel du 16 avril 2009 promulguant cette nouvelle taxe, l’article 54 énonce entre autre « qu’elle est à la charge de l’entreprise étrangère bénéficiant de l’interconnexion et acquittée pour son compte par l’opérateur national. Son tarif est fixé à 20 francs (0,03 Euro) sur la minute de communication internationale à destination de la Côte d’Ivoire. » En d’autres termes le gouvernement ivoirien a augmenté les prix en gros de terminaison ou de transit du trafic vers la Côte d’Ivoire de l’ordre de 20%. Cette augmentation, pour le moins, va à contre-courant de l’évolution des prix en gros des terminaisons d’appels en Afrique. Les conséquences au court terme pour les opérateurs ivoiriens sont plutôt claires : une baisse du volume des appels internationaux entrants qui se traduira par une baisse de leurs revenus. Si le prix de la minute vers la Côte d’Ivoire augmente, les gens (pensez seulement à la diaspora ivoirienne) vont appeler moins longtemps ou moins souvent !

Dans cette histoire, les opérateurs télécoms ivoiriens font figure de boucs émissaires. A eux, « le sale boulot » d’annoncer aux opérateurs étrangers (en Europe, en Amérique mais aussi en Afrique) qu’ils devront débourser 20 francs de plus pour chaque minute acheminée vers la Côte d’Ivoire. A eux encore, la tâche de collecter la taxe et de rédiger le chèque pour le compte de l’administration fiscale ivoirienne. Lorsque les opérateurs étrangers ont pris connaissance de cette augmentation, il est fort probable que certains d’entre-eux qui ont des accords bi-latéraux d’acheminement du trafic se sont sentis enclin à négocier leurs prix de terminaison à la hausse. Résultat des courses : certaines destinations internationales vont devenir plus chères pour les ivoiriens et par conséquent ils vont appeler moins longtemps ou moins souvent. Les opérateurs télécoms ivoiriens se retrouveront donc doublement pénaliser avec une chute possible du volume du trafic international sortant.

Dernier point épineux : qui va payer les 20 francs par minute pour l’ensemble du trafic international entrant entre le 1 juillet et le 10 août dernier ? Les opérateurs ivoiriens, les opérateurs internationaux ? Il est difficile de croire que les opérateurs internationaux vont assumer cette charge financière qui équivaut à une perte sèche pour eux. Pour minimiser les risques de recouvrement de la taxe par les opérateurs ivoiriens, il serait mieux de la prélever à l’encaissement plutôt qu’à la facturation.

Cette taxe de 20 francs sur les appels internationaux entrants va servir à quoi ? Selon le Journal Officiel du 16 avril 2009 :

– 12 francs (0,018 Euro) sont « destinés au financement des actions de contrôle du trafic téléphonique international entrant en Côte d’Ivoire et de lutte contre la fraude en matière de télécommunications. Cette quote-part est affectée à un Fonds créé à cet effet et dénommé Fonds de contrôle et de lutte contre la fraude en matière de télécommunications. »

– 7 francs (0.01 Euro) sont « affectés au Budget de l’Etat. »
– 1 franc (0.001 Euro) est « affecté au Fonds de la Culture »

Il est surprenant que 60% de la taxe soit allouée à un fonds de contrôle et de lutte contre la fraude alors que l’exposé des motifs précise qu’il « s’agit d’assurer un minimum de perception fiscale sur les chiffes d’affaires résultants de ses prestations. » Malheureusement la Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays en Afrique à s’engager dans cette logique de contrôle. Au Congo, des mesures similaires viennent d’être prises. Dans une interview au magazine Réseau Telecom, le ministre des Postes et Télécommunications, Thierry Lézin Moungalla parle du rôle de contrôle du régulateur et justifie le recours à une assistance technique étrangères dans les termes suivants “Effectivement, la Société Global Voice (GVG), bien cotée sur le marché international des terminaisons de minutes, nous a adressé une offre de services assortie d’un contrat de partenariat de premier choix ; nous n’avons pas hésité à saisir la balle au bon. C’est, pour tout dire, un partenariat de type gagnant – gagnant.” A 12 francs la minute, la société qui remportera le contrat de contrôle en Côte d’Ivoire, touchera plutôt le jackpot! Avec un trafic mensuel international entrant de l’ordre de 50 millions de minutes, la taxe rapportera environ 1.5 millions d’Euros par mois.

Cette taxe qui s’apparente à une nouvelle frontière tarifaire est un sérieux handicap au positionnement des opérateurs télécoms ivoiriens sur le segment du trafic de transit des pays de la sous-région. Si le tarif en gros de la minute de transit par la Côte d’Ivoire devient trop cher, les opérateurs demandeurs de capacité de transit trouveront des pays fournisseurs alternatifs. Récemment, Ernest Ndwuke, le DG de la Nigeria Communications Commission, l’autorité de régulation au Nigéria, a avancé le concept de « fibre sans frontières » (fibre without borders) comme « une panacée pour réaliser la révolution des télécommunications en Afrique en termes de connectivité sans interruption et d’accès rapide à des services Internet haut-débit à des prix abordables pour l’ensemble des citoyens ». Il semble bien que la Côte d’Ivoire vient de faire un grand pas dans le sens contraire !

[readon1 url=”http://balancing-act”]Source : Editorial Balancing-act[/readon1]

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